Rien que de l’habituel
La toxine botulique en grandes seringues dans le cou
Les antidépresseurs
Les anxiolytiques
Les mois d’hospitalisation en psychiatrie n’ont pas vraiment servi. Elle a repris tout ses médicaments.
Invalide maintenant. Un peu plus qu’hier un peu moins que demain. Mais peut-être. Un jour. Ce qu’on attendait plus. Le silence du corps. Un jour. Peut-être
Et puis le monde. Étiquetée invalide. Ça pénètre dans la chair. Ça n’éclaire pas les jours. Quand on voudrait qu’il fasse beau. Quand on voudrait qu’elle retrouve son rythme épanoui
Antiépileptiques aussi
La morphine parfois
Ça embrouille c’est fouillis on bafouille dans la langue avec cet attirail pas facile d’être en soi
Neuroleptiques pour les humeurs
Elle vous enlise cette vie autour de toi des toqués rien que des toqués
On pousse souvent la porte. Mais pas assez. On n’entre pas où il faut. Là où les nappes de paix peuvent rester. Apaiser. On entre sans tarder dans la grande chambre pleine. Mais on fini toujours par sortir trop tôt. Coupable de ne pas faire plus. De ne pas faire du bien à l’enfant de son rêve. De ne pas trouver pour elle toutes les clefs de son corps
Je n’ai jamais su défaire les ficelles
Autour de toi des toqués rien que des toqués tu vis avec eux deux ou trois ans et petit à petit sans t’en rendre compte tu deviens toi-même un toqué
Destin inévitable

Je veux croire au point final
à l’accompli
Au point virgule



Il est question en titre de cette affaire des sans-papiers, de la chute d'Yvan, de la manifestation à Amiens, de l'autorisation provisoire de séjour accordée à titre humanitaire - il est aussi question des précédents, de ces rafles qui sont déjà pratique courante. Il y a aussi la voix, celle des associations inquiètes devant la recrudescence des pratiques -ignorance aussi (toujours les chiffres) de l'ampleur de la chose - manoeuvres ponctuelles qui frappent au jour le jour.

On n'aura droit qu'à deux exemples dégotés au fond des tiroirs pour être sûr de frapper loin - là où ça ne touche plus : des algériens : première action 2003 - 1 algérien - Bourg en Bresse - communauté d'Emmaüs ; seconde action 2003 aussi - 3 algériens - vers Lille. Ce sera tout. Et entre 2003 et 2007 : rien. Seulement 4 ans. Trop peu finalement.

Et pour tout ce fouillis à moitié bon-enfant, mi-fugue, mi-raison, on nous dégotte un titre qui sent bien l'eau bouillie : les interpellations de sans-papiers chez eux restent rares.

Micro distorsion ponctuelle ?

Et si au creux, il y avait une pouce de cette actualité en zoom, en gros titre et micro résumé qui constitue l'essentiel de notre info via le fil RSS : Rassurant -finalement- le titre si on ne lit que cela, rassurante aussi l'info si on se contente des deux lignes qui nous la présentent :

Indépendamment du drame qu'elle a provoqué, la tentative d'interpellation d'Ivan et de ses parents à leur domicile illustre la volonté des pouvoirs publics de combattre, pied à pied, l'immigration clandestine.

Bronzez citoyens, le pape s'occupe de tout

Rassurant tout cela quand on sait que la version en ligne du fameux journal est moins édulcorée que sa version papier...

A quand Heiner Müller sous la plume de nos éditorialistes, on nous cite déjà bien du Spinoza pour vacciner contre les passions tristes...

Amis sourions, l'avenir sera radieux.

Mon travail consiste à m'imbiber des choses. Et après ça ressort...
Je ne peinds pas les choses, je ne peinds que les rapports entre les choses.
Matisse.




De ces visages que l'on porte, images avec soi

de ces retours de traits - d'éclats de faces recroisées, imaginées, naissantes

Mais par delà les correspondances - le sentiment peut-être de la nécessité

Les paumes qui disent ce qui doit être - et font parler le hasard

Pour les fragments du monde en image de soi



Que se passe-t-il si, comme c'est le cas dans ce que je fais,
vous décidez que tout endroit de la scène est également intéressant...
J'ai choisi d'ouvrir l'espace, de le considérer en tout point égal,
chaque endroit, occupé ou non par quelqu'un, devenant aussi important
que n'importe quel autre. Dans un tel contexte, il n'y a plus à prendre appui
sur tel ou tel point privilégié... Naturellement, beaucoup de spectateurs et
de danseurs n'arrivent pas encore à penser ainsi,
ils ont grandi avec cette idée d'un espace stable
auquel se réfèrent en même temps spectateurs, solistes ou corps de ballet.
Mais si vous abandonnez tout cela, vous découvrez une autre vision.
Vous pouvez voir quelqu'un non plus seulement de face, mais de côté,
ou de partout ailleurs, avec un égal intérêt.
Merce Cunningham.


Où s’arrête le temps là commence notre exil
Parce qu’il y a une note - silencieuse peut-être - pour les voix croisées / enchevêtrées qui saura bien nous dire où il nous faut aller
Où s’arrête le temps il y a une silencieuse
Et c’est là que l’on reprend c’est là que l’on s’arrête
Silencieuse pas seulement

Et les fragments du monde pour une relative
Là où viennent mourir les dernières vapeurs
machines centenaires pour un cimetière de rouille
C'est ce lieu celui là où s'arrête le temps - pas seulement arrêté mais déjà comme figé
C'est ce lieu celui là
Et l'on tend pour rejoindre
C'est le lieu - celui là -

Est-ce qu'on en finira avec les plis du temps ?





Où en es-tu du temps - de ces choses qui traversent et qui nous prennent au cou - Où en es-tu des mondes - de ce que l'on habite - Où en-es tu de toi - de tous les autres - Où en es-tu de ce silence - qui fait que l'on ne sait plus ? Où en es-tu qu'(enfin) on sache ce qui s'est passé au-delà ? Où en-tu des jours, de la nuit et des temps clôs ? Où en-es tu pour que l'on puisse défaire les lignes, les noeuds et les pelottes - où en-tu de tous ces travers, de toutes ces dérives ? Où en es-tu pour le littéral, le premier degrès et le terre à terre ou en es-tu QUE L'ON SACHE QUE L'ON PUISSE QUE L'ON CONTINUE

Où en est-on dans les planches courbes de nos temps métronomiques

formes d'asymptote dans le domaine de la covariance

et des brisures de reférentiels

De si l'on s'écrivait depuis le passé




Un mur immense traverse la scène.
Un homme entre. Il a pris un bâton et tente de graver dans le mur des lettres. On ne sait pas ce qu’il écrit. Il semble avoir du mal à lever les bras et pourtant il grave haut sur le mur, très haut. Il sourit. Semble content. S’arrête. Reprend à nouveau. Fatigué d’avoir à lever les bras si haut. Il a écrit des mots, des dessins que l’on ne peut lire. Peut-être se trompe-t-il de langue ? Peut-être ne fait-il que gratter ? Il s’arrête quand entre Eliès.
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. C’est un mur
Oui enfin vous l’avez vu ça que c’était un mur mais que c’était
Mon mur
Pour ça que j’écris dessus
Ça vous avez pas pu le voir non
Enfin voilà voilà pas vraiment à moi celui-là
Mais moi qui le construis participe à sa venue
Construis celui-là
Avec mes mains
Celles-là oui
Celles-là qui le portent plus haut en vertical
Pas facile toujours mais c’est comme faire l’amour
Douloureux parfois
Difficile à comprendre ça pour toi peut-être ?
ÉLIES. Pourquoi je comprendrais pas
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Parce que faut en avoir construit pour comprendre qu’on les aime
Qu’on les monte de bas en haut
Babil de briques
Tout ça trop jeune toi
ÉLIES. Je peux comprendre mais je dois passer
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Passer où ?
ÉLIES. De l’autre côté
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. L’autre côté ?
Pas possible
ÉLIES. Dégage avec ton mur
Faut que je rentre chez moi
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Tu comprends pas l’amour des murs
Ça se regarde
Se traverse pas se franchit s’enjambe se saute pas
Pas possible
ÉLIES. Je dois rentrer
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Pas possible vous pouvez pas passer
Construis de mes mains celui-là
Comme le mien
Comme mon fils
Mon enfant
Toi t’es jeune
Vous pouvez pas comprendre
ÉLIES. Je m’en tape que ce soit comme ton gosse ça va pas le tuer
Bousiller si je franchis ce truc
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Impossible
Sera détruit sinon
Perd tout son sens s’il est franchi
Vous comprenez ça au moins
Que mon mur a pas de sens
S’il ne sépare coupe détache pas
Tu comprends ça au moins non
Non ?
Un peu au moins
ÉLIES. Ce que je comprends c’est que je sors du taf
Que chui à la bourre
Que j’dois rentrer maintenant
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Fait le tour alors
Peut pas passer au-dessus
Pas pour rien qu’on le construit aussi celui-là
Pour toi
Ta famille
Notre langue
Que tout ça soit plus clair
ÉLIES. Pour séparer quoi
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Et bien des deux côtés
Voilà voilà
Ce qu’il faut séparer
Les deux côtés
Le mur fait ça aussi
Naître des mondes espaces distincts
Sans ça peut pas penser t’as bien compris cela
Peut pas penser
ÉLIES. Ouais
Mais je dois rentrer maintenant
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. T’habites de ce côté
Pourra bientôt plus passer de l’autre alors
ÉLIES. Et pour mon taf
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Fera le tour
ÉLIES. T’as vu la taille de ton truc
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Grandit de plus en plus mon mur
Je vous laisserai passer si vous revenez un jour
Mais pour l’instant pas possible de franchir
Faut marcher tout le long
Plus loin horizontal
Là-bas où il s’arrête tu passeras l’autre côté
ÉLIES. Je suis déjà à la bourre
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Pas possible autrement
Tu dois comprendre ça


****

Au pied du mur, seul. Élies dessine avec une craie au sol. Il s’applique puis efface tout d’un geste brusque. Recommence sur le mur. Puis efface tout à nouveau.
ÉLIES. Je tue des poulets
Toute la journée je fais ça je me dirige vers la cage je choppe un poulet dans ma main droite je prend sa tête avec la gauche ses pattes ou le corps selon la taille les poulets sont tellement nombreux dans la cage qu’ils se chient dessus pendant des heures elles sont entassées sur au moins trois rayons et moi quand je m’approche des cages pour prendre le poulet souvent couvert de merde je dois lui chopper la tête mais ils sont tout speed les poulets à force de se marcher dessus comme ça tout sec dans leur merde ils se battent des putains de coups de becs que je me prends à chaque fois je suis toujours recouvert de sang du mien ceux des poulets aussi mais le mien coule très souvent les becs voici les oiseaux dont vous ne mangerez pas je choppe la tête du poulet dans la cage l'autruche l'hirondelle le tétras le chat-huant la mouette le hibou la chouette l'ibis la hulotte le percnoptère et je l’approche d’un gars qui lui tranche la gorge le poulet alors il n’a plus de tête continue s’agite très fort avec ses griffes ses pattes et le sang lui coule depuis la tête enfin depuis son absence de tête maintenant tranchée je prend ses cuisses et je les fixe à des crochets toute une série de crochets qui défilent à chaque crochet un poulet une cuisse sur le crochet l’autre sur l’autre voici les oiseaux dont vous ne mangerez pas pour varier je fais aussi les poulets casher l'aigle le gypaète l'orfraie le milan noir le vautour les espèces de milan rouge de corbeaux de hérons et d'éperviers le cormoran la cigogne la huppe la chauve-souris la viande cachère mais là c’est pire après avoir dis deux trois trucs le gars son sacrifice avec ses paroles au lieu de lui trancher la gorge au poulet toujours en murmurant ses trucs il lui découpe la trachée juste au niveau de la veine juste pour que le sang s’écoule pendant que le poulet est en vie vous ne mangerez rien avec du sang et ça le poulet il n’aime pas parfois en plus il se plante pas vraiment sur la gorge parfois c’est pas la veine qu’il tranche au départ seulement la chair ou les plumes tiens ferme à ne pas manger avec le sang il recommence alors car le sang c'est l'âme le poulet j’ai encore plus de mal à le tenir et tu ne dois pas manger l'âme avec la chair il s’esquive il bouge comme un taré tu ne le mangeras pas afin qu'il t'arrive du bonheur avec ses griffes ses ongles ainsi qu'à tes fils après toi parce que tu auras fait ce qui est droit à mes yeux avec son couteau sa lame lisse jamais facile à faire ça le poulet accroché par les cuisses se vide de son sang car le sang c'est la vie et tu ne consommeras pas la vie avec la chair et lui avec son couteau il continue de murmurer ses trucs toujours les mêmes jamais il touchera au poulet même quand je galère comme un porc il me laisse seul avec mes plumes et mon bordel


***

Au pied du mur, le même homme seul. Même gestuelle. Entrée d’ÉLIES.
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Pourquoi êtes-vous revenu
Vous pouvez pas franchir tant que c’est pas fini
ÉLIES. Avais dit que si je revenais pourrais passer alors
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Pas possible impossible à franchir
ÉLIES. Comment vous faites vous pour aller des deux côtés
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Pas pareil moi je le fais
Construis le mur
ÉLIES. Pourquoi tu fais ça
Construis ce truc horrible et y reviens la nuit
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Pour lui donner une âme
Qui se sente pas trop seul
ÉLIES. Tu fais quoi tu lui chantes des berceuses
Lui lis des histoires pour dormir
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Comprenez pas que
C’est comme mon fils ce mur qui grandit
Toujours aimé les murs
Déjà haut comme trois pommes je les faisais plus haut
Une pomme plus haute que moi
Plus élevé dans le ciel
ÉLIES. Tout les gamins font ça
Posés dans le bac à sable avec une pelle en main
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Moi toujours aimé ça
Aimé ça comme les arbres
Beau la croissance d’un mur
D’un grand mur qui sépare
ÉLIES. Vous délirez complètement
Trop galère ce truc
Peux plus passer maintenant
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Vous laisserai plus tard mais maintenant
Pas possible
ÉLIES. Et ça va s’arrêter où
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Peut pas s’arrêter doit continuer
C’est ça le sens du mur
C’est de se prolonger pour séparer encore
Encore encore encore
ÉLIES. Tu aimes ça toi
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Toujours aimé planter des murs
Planter partout mes briques
Monter en colombage
Et découper le monde
ÉLIES. Et découper le monde
Vous parlez d’un programme
Je découpe des poulets
Au fond presque pareil comme œuvre
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Peut-être mais pas vraiment
Tu décomposes un corps dilapide pleins de morceaux
Empaquetés sous plastique
Moi je compose
C’est comme l’amour de faire un mur
C’est beau comme une Sonate un quatuor à corde
C’est plein d’amour
De différence et de pureté un si beau trait que l’on dessine
Que l’on construit
C’est des notes assemblées une à une tellement pures
Je retrouve les unités
Pour ça que j’aime les murs
ÉLIES. N’empêche que j’étais censé pouvoir passer
Cette fois
Rien que des blablas
Vous construisez en pureté mais c’est rien que des foutaises
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. C’est comme une grande forêt que je plante
Là un bel ensemble qui grandit et respire
ÉLIES. Je le vois pas respirer votre truc
Il est épais et haut
Il emmerde le monde
Mais il ne respire pas
Pas plus que mes poulets
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Pourquoi tu crois que je viens
Que je lui apporte des images des voix et des dessins
Pourquoi avec mon bâton le soir je viens finir
ÉLIES. C’est pas comme ça qu’il sera mieux ça reste un mur au fond
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Vous ne voyez donc pas
Interminable en hauteur coupure du monde de part en part comme des quartiers d’orange pressée
Muraille fronton remparts antiques paroi rupestre mur de papier cloison parapet garde-fou déglingués qui finissent par perdre les pédales barrière ou balustrade frontière murale peinte au corps
Toujours fait ça
J’ai aimé ce mur
Pour y voir plus clair
Écoute
Approche
Vous l’entendrez respirer
Tu entends quelque chose
ÉLIES. C’est comme une turbine
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Ah ah ah c’est que ça vit là-dedans
Ah ah ah !
ÉLIES. Fou comme ça fait du bruit ça ventile entre les interstices
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Vrai tu l’entends qui bouge
Ah ah ah !
Qui vit à l’intérieur
Ah ah !
Tu entends vrai vrai
ÉLIES. Mais non bouffon
J’entends rien comme mes poulets j’te dis
Bouge pas plus tes briques
C’est froid et mort comme tout voilà ce que j’en dis
L’HOMME QUI AIMAIT LES MURS. Moi je l’entends qui vit moi je l’entends qui vit
Il respire turbine s’échine le sais bien moi pose ta main là pose ta main pour entendre ses soupirs les pleurs qui montent le soir pose ta main pour sentir ses sanglots
Vrai
C’est ses larmes qui s’étendent tous les soirs sur la ville et qu’on entend couler à travers toutes les pierres

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