tag:blogger.com,1999:blog-44238380654522937422024-03-05T07:05:46.921+00:00Hapax"LITTERATURE : Occupation des oisifs." Gustave Flaubert, Le Dictionnaire des idées reçues.B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.comBlogger128125tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-28595130484269589062010-04-20T12:32:00.002+01:002010-04-20T12:43:40.275+01:00Examen clinique de mes possibilités #2<div style="text-align: center;"><iframe allowfullscreen='allowfullscreen' webkitallowfullscreen='webkitallowfullscreen' mozallowfullscreen='mozallowfullscreen' width='320' height='266' src='https://www.blogger.com/video.g?token=AD6v5dy2x_T6-ZI300P1zdLMruGqpJWtTIxwSnZozv3w7Ui9I2cagbLHA5WlzJas3Tg4m0ov1ZOInA2C8wMFrjlFZg' class='b-hbp-video b-uploaded' frameborder='0'></iframe></div>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-68482066207920486312010-04-16T15:24:00.004+01:002010-05-06T12:22:42.752+01:00Examen clinique de mes possibilités<a onblur="try {parent.deselectBloggerImageGracefully();} catch(e) {}" href="http://2.bp.blogspot.com/_HPSb8ZFjhM0/S8ohDUfQuXI/AAAAAAAAA4s/grxSdOZs-dA/s1600/examen+clinique+des+possibilit%C3%A9s.jpg"><img style="display: block; margin: 0px auto 10px; text-align: center; cursor: pointer; width: 271px; height: 400px;" src="http://2.bp.blogspot.com/_HPSb8ZFjhM0/S8ohDUfQuXI/AAAAAAAAA4s/grxSdOZs-dA/s400/examen+clinique+des+possibilit%C3%A9s.jpg" alt="" id="BLOGGER_PHOTO_ID_5461213839063300466" border="0" /></a><br /><span times="" new=""><br /><span style="font-family: times new roman;">Un mètre vingt de chaque bras</span><br /><span style="font-family: times new roman;">L’équivalent du côté des jambes</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Un brin de plus si on compte la vitesse que pourrait me procurer l'élan ou la course</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Mais vu l’état d’immobilité auquel je suis réduite – envisager ce type de projection : faste dépense de l’imaginaire</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Torsion 160 degrés dans les bons jours</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Rotation aisée du poignet due à une hyperlaxité congénitale</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Rien à signaler du côté de la malléole, de l’acromion, de mon creux poplité, de mon apophyse transverse, de mon grand trochanter et de l’os pariétal</span><br /><br /><span style="font-family: times new roman;">Vu d’ici le monde se réduit à une croute</span><br /><span style="font-family: times new roman;">difficile à croquer</span><br /><br /><br /><span style="font-family: times new roman;">« Y a-t-il vraiment une plus grande distance entre nous et notre poussière finale qu’entre l’étoile intraitable et le regard vivant qui l’a tenue un instant sans s’y blesser ? » R. Char, </span><span style="font-style: italic; font-family: times new roman;">Aromates Chasseurs</span><span style="font-family: times new roman;">.</span></span>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-35786542274020969352010-02-17T11:39:00.000+00:002010-02-17T11:52:54.336+00:00D'un côté comme de l'autre<div style="text-align: center;"><iframe allowfullscreen='allowfullscreen' webkitallowfullscreen='webkitallowfullscreen' mozallowfullscreen='mozallowfullscreen' width='320' height='266' src='https://www.blogger.com/video.g?token=AD6v5dxBrJKRqKz7tLlgZJRswQiFyZgxh_qkymjKdChM0yG_ckVBSS_n4sLvDeZu-vVpePeXcKo8SExtJPDCNUjZEg' class='b-hbp-video b-uploaded' frameborder='0'></iframe></div>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-62240677908097145852010-02-14T11:44:00.004+00:002010-02-19T10:13:04.795+00:00My wits began to turn<div style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Il y a trop - trop de choses parfois - trop de choses en moi, trop, là, trop oui trop de choses, parfois, trop - trop - oui - trop de bruits, de cavalcades, de visages et de propos, oui - trop - pour me laisser goûter à la chaleur de l'absence qui ne sait plus rien de la mienne, il y a trop souvent - trop - oui - trop souvent la tentation du rien, d’une grande table rase, d’un grand silence de fracas pour laisser résonner mes manques, il y a trop souvent cela – mais jamais vraiment – images ténues et persistantes – irréelles – ET POURTANT.<br /><br /></span><span style="font-size:100%;">J’envie – je crois – cette propension au dialogue fictif, à la conversation de fortune qu'ont certaines personnes et qui occupe leurs yeux aux vagues. Je ne sais rien de ces échanges, de ces paroles troquées d’une rive à l’autre. Mon crâne : espace étroit et silencieux. Alors ce doit être réconfortant parfois que de savoir convoquer dans son petit théâtre mental des pans entiers d’autrui – ça dégage de soi.<br /><br /></span><span style="font-size:100%;">Moi, je ne vois rien. Alors j’écris. Pour trouver sous le blanc, quelques images à colorier. De quoi passer pastels et acryliques. Grand lavis. Pour cette nuit et ce soir (ce matin bientôt), où j’attends – sous les solives d’une pluie mansardée.<br /><br /></span><span style="font-size:100%;">J’écris parce que je suis sans imagination aucune.<br /></span><span style="font-size:100%;">J'écris parce que mon espace mental est trop étriqué pour que je puisse m’y tenir debout, que je vis toujours en moi tête baissé, épaules courbées – évitant de me cogner aux parois de moi-même.<br /><br /><br /></span><span style="font-size:100%;">Faites-vous de vrais lieux<br /></span><span style="font-size:100%;">Trouvez-vous un îlot<br /></span><span style="font-size:100%;">Une place<br /></span><span style="font-size:100%;">J’ai longtemps cru que c’est ce que l’on nous demandait de faire<br /></span><span style="font-style: italic;font-size:100%;" >C’est ce qui plus que tout importe</span><span style="font-size:100%;"> – m’avait-on dit<br /><br /></span><span style="font-size:100%;">Mais je ne crois pas aux maisons<br /></span><span style="font-size:100%;">J’ai cessé de croire aux chambres à l’âge de sept ans<br /></span><span style="font-size:100%;">Et les appartements me donnent la nausée</span></div>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-86883561066478113192010-02-12T11:36:00.004+00:002010-05-06T12:21:10.489+01:00Prendre langue<span style="font-size:100%;"><b style=""><o:p></o:p></b></span><span style="font-size:100%;font-family:times new roman;">Pendant les premières années de sa vie, Fergis ne parla pas. Tout le monde dans sa famille, dans le village, s’étonnait de son silence. Mais toujours l’enfant gardait la bouche close. On pensa alors qu’il était un peu simple – et que la vie coulait sur lui comme la pluie sur la peau grasse des bêtes. </span> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Et pourtant son regard dévorait le monde.</span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Et pourtant, il avait de grands yeux gourmands, d’une couleur indéfinissable, comme si des éclats de toutes les couleurs du monde s’étaient assemblés dans ses pupilles.</span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Quand il fut en âge de parler – une tante affirma qu’il était sourd, et que le bruit des paroles ne lui parvenait pas.</span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Et pourtant ses oreilles étaient comme des chasseurs en embuscade prêtes à se tourner au moindre craquement.</span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Et pourtant, il aimait danser au son des voix, sur la flute et le tambourin.</span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Quand il eut douze ans, on l’emmena à la ville pour le présenter au médecin. Il observa Fergis, lui ouvrit la bouche de force avec un morceau de bois, l’allongea sur le sol et le fit souffler et cracher. </span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">(<b style=""><i style="">B</i></b>) – Votre fils est muet.</span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Et pourtant, le soir même, dans son sommeil, on l’entendit distinctement prononcer les noms de sa famille. Doucement d’abord puis de plus en plus fort. Comme une pluie qui tarde à venir mais qui finit par vous battre les tempes. Ses lèvres ne bougeaient pas, mais on entendait nettement, venir de sa bouche, le bruit de ses paroles. Il récita alors le nom de chaque habitant du village, puis de ceux des villages voisins, et ceux de leurs parents et de leurs grands-parents. Plus la nuit avançait et plus Fergis remontait le temps, décrivant aussi leurs visages, leurs vêtements, leurs parures, leurs bijoux et leurs souvenirs… Quand il se réveilla le lendemain matin, il ne parlait toujours pas. Mais la nuit suivante le récit continua : il se mit à décrire avec une précision difficilement imaginable l’ensemble des objets qui se trouvaient dans la maison, puis l’ensemble des objets du village, et ceux du pays et bientôt ceux de leurs parents qui les avaient précédés. Chaque nuit, pendant douze ans, Fergis récita, raconta, les odeurs, les couleurs, les textures de tissus qu’il n’avait jamais vu, l’humidité des eaux chauffées dans de grands bacs, le bruit des villes qu’il ne connaissait pas, la tristesse d’adieux qu’il n’avait pas adressé, des souvenirs qui n’étaient pas les siens, ces caresses et ces sourires qu’il n’avait pas reçus, les paroles de chants qu’il n’avait jamais entendues. Il décrivit des paysages que personne dans son entourage ne connaissait – et qui n’avaient jamais été vu par personne. Certaines nuits, il emmenait très loin ceux qui l’écoutaient. D’autres nuits encore, il décrivait avec une telle précision les paysages qui étaient les leurs, qu’ils leur semblaient les voir comme ils ne les avaient jamais vu. Ils apprenaient à travers sa voix la mémoire de leur pays.</span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Douze ans cela dura. Pendant douze ans, toutes les nuits, Fergis porta aux oreilles des siens la mémoire du monde. </span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">4380 nuits durant, Fergis raconta, détailla. </span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Pendant vingt-quatre ans, il garda le silence.</span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Pendant vingt-quatre ans, il porta sa mémoire comme une lourde pierre. Cousant sa bouche d’un fil de silence pour ne pas charger sa tête, fuyant ce monde où l’inconnu n’avait pas de place : rien des couleurs, des odeurs ou des paroles ne lui échappait. Rien depuis qu’il était né ne s’était présenté à lui sous le visage de la surprise : même ce qu’il n’avait pas vu, même ce qu’il n’avait pas traversé, même ce qu’il n’avait jamais entendu – il le revivait.<span style=""> </span></span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Le matin, au lendemain de ses vingt-quatre ans, il quitta le village. Il marcha jour et nuit pour accabler son corps sur l’imminente fatigue, pour éroder sa mémoire trop pleine aux longues marches assoiffées. Mais l’épuisement ne suffisait pas à apaiser ses peines : il était lourd des paysages sous ses yeux, lourd des odeurs qui montaient encore jusqu’à son nez, lourd de la lumière, du bruit des feuilles dans les arbres. Il déchira alors son vêtement en de petits lambeaux, les tourna entre ses doigts, imbiba le tissu de sa salive et les roula dans ses oreilles. Il fit de même avec ses narines. Quand il eut fini cela, il déchira une bande plus longue et la noua autour de ses yeux. </span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Celui qui voyait devint aveugle, celui qui entendait devint sourd, celui qui autrefois pouvait sentir ne savait plus rien des odeurs.</span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Il reprit alors sa marche. Il n’allait nulle part, cherchant seulement à cogner son corps tout entier contre l’oubli, cherchant seulement à lui faire rendre gorge. Des mains lui apportaient à manger, d’autres lui offraient à boire. On posait sur son front des linges humides quand le soleil était trop dur ; des peaux de bête quand la pluie ravageait les routes.</span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Cela dura douze ans. Au lendemain de ses trente-six ans, il s’arrêta. </span></p> <p style="text-align: justify; text-indent: 35.4pt;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Se mit à genoux. </span></p> <p style="margin-left: 70.8pt; text-align: justify; text-indent: 35.4pt;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Et creusa. </span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Patiemment, de ses mains nues et fatiguées, de ses mains qui n’avaient jamais connu les travaux de la terre, de ses mains qui n’avaient jamais connu une eau trop chaude, une peau trop douce, il creusa le sol. La terre était dure, soudée par la chaleur et les pluies dissipées trop vite. Et ses ongles charriaient autant de sang que de cailloux. </span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Il continua pourtant. </span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Le trou, modeste au début, devint bientôt si grand qu’il put se tenir tout entier dedans. Il le divisa en deux trous plus petits. Passant de l’un à l’autre. Dans leur prolongement, il creusa d’autres galeries, plus profondes, plus fines, plus étroites. Il eut bientôt si froid qu’il dû s’envelopper de plusieurs couches de vêtements pour continuer à creuser. Plus il s’éloignait de la surface et plus ses tunnels occupaient un espace immense. Jamais il ne manqua d’eau ou de nourriture – aussi loin et profond qu’il fût, chaque jour des fruits, des racines et des céréales lui étaient apportés. Quand le froid de la terre devint trop saisissant, il fut couvert de vêtements plus épais et plus chauds. Quand il s’enfonça tellement loin, que la température redevint agréable, on le déchargea de ses couches inutiles. </span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Douze ans durant, il plongea ses mains dans la terre. Douze ans durant, ses ongles poussèrent contre le sol, s’usèrent plus vite que sa chair et prolongèrent cet immense trou. Au lendemain de ses quarante-huit ans, il cessa de creuser. </span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Il remonta alors la galerie, atteint l’embranchement des deux boyaux et sortit du trou qui formait dans la terre comme un immense poumon. </span></p> <p style="text-align: justify; text-indent: 35.4pt;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Il s’allongea sur le sol.</span></p> <p style="margin-left: 35.4pt; text-align: justify; text-indent: 35.4pt;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Mit sa tête au-dessus du trou.</span></p> <p style="margin-left: 70.8pt; text-align: justify; text-indent: 35.4pt;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Et commença à raconter. </span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Ses lèvres ne bougeaient pas, mais en prêtant l’oreille, on pouvait entendre un son s’envoler de sa gorge, couler le long de sa bouche et tomber, goutte à goutte, dans l’immense trou. Il raconta tout ce que la nuit avait dit à travers lui dans son enfance. Il parla de ces villes qui n’existent pas, de ces parfums que personne ne connaît, des amours qu’il n’avait pas éprouvés, de la colère, de la peur, de la nostalgie qui n’étaient pas les siennes. Il décrivit ces paysages qui sont les nôtres, ceux qui sont autour de nous, mais ceux aussi que nous ne verrons jamais. Il raconta comment on met un enfant au monde, comment on achève une symphonie, comment on pose des couleurs sur une toile immense. Il expliqua de quoi est fait l’ADN, d’où viennent l’orage et les grêlons et comment l’homme est venu sur terre. Dans le trou coulèrent toutes les langues, toutes les voix – des voix de femme, d’enfant, de vieillard, des voix de prêtre, des voix de marin, des voix de jeune femme, des voix empruntées aux champs, aux étoiles, à la mer, des voix venues du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest. Des voix d’ici et d’ailleurs. Toutes, elles coulèrent, goutte à goutte, murmure après murmure, dans l’immense poumon que Fergis avait creusé dans l’espace du sol.</span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Douze ans durant, Fergis raconta, douze ans durant, il laissa s’écouler son corps au-dessus du trou infini. Au lendemain de ses soixante-ans, aucune parole ne voulut plus tomber dans le trou. Plus rien en lui ne voulait raconter. Sa mémoire n’était plus qu’un désert de sel, surface blanche réfléchissant le vide d’un ciel tanné par le soleil.</span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;"><span style=""> </span>Il fit glisser son corps épuisé sur le côté.</span></p> <p style="margin-left: 35.4pt; text-align: justify; text-indent: 35.4pt;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Se mit difficilement à genoux tant il était usé</span></p> <p style="margin-left: 70.8pt; text-align: justify; text-indent: 35.4pt;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Et de ses mains commença à reboucher le trou.</span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Il le fit avec une patience infinie et une douceur encore plus grande que s’il avait s’agit du corps d’une femme. Il enterrait ces histoires, ce passé harnaché de plus de souvenirs que s’il avait eu mille ans, avec l’acharnement d’une bête au labour. Ce n’était pas un geste d’adieu, ni un geste de délivrance, c’était plutôt le geste de celui qui se découvre une main plutôt que rien, un bras plutôt que rien – et qui tente de leur inventer un usage en les portant dans le monde. Sa main poussait la terre comme le nouveau né écarte le sable de son pied, son bras ramenait autour de lui de quoi remplir le trou avec l’innocence d’un oisillon qui invente le vol lors de sa première chute. La tâche était aussi immense et infinie que l’était le trou.</span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Douze ans cela dura. Au lendemain de ses soixante-douze ans, ses bras s’arrêtèrent.</span></p> <p style="text-align: justify; text-indent: 35.4pt;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Il s’appuya tant bien que mal sur ses mains fatiguées</span></p> <p style="margin-left: 35.4pt; text-align: justify; text-indent: 35.4pt;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Se mit à genoux</span></p> <p style="margin-left: 70.8pt; text-align: justify; text-indent: 35.4pt;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Et dénoua le bandeau qui lui fermait les yeux.</span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Il fit de même avec les tissus qui obstruaient ses oreilles et son nez. Et vécut l’horreur d’une seconde naissance dans le silence d’un cri qu’il ne pouvait pousser. Son corps tout entier – comme pris par le hoquet d’un enfantement – l’abandonna. Il fit un pas puis un autre. Son poids tout entier appelant le suivant, il finit par marcher. </span></p> <p style="text-align: center; text-indent: 35.4pt;font-family:times new roman;" align="center"><span style="font-size:100%;">Lentement.</span></p> <p style="margin-left: 283.2pt; text-align: justify; text-indent: 35.4pt;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Avec difficulté. </span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Il avait la démarche d’un vieillard qu’on aurait mis au monde <i style="">trop tard et par mégarde</i> et qui doit, avec la douleur de la fatigue, se composer un corps pour apprendre à marcher. Le réel tout entier lui sautait au visage dans sa brûlante nouveauté. Les paysages et les odeurs, la lumière, l’air même dans ses poumons, le vent qui venait souffler ses paupières – tout le consumait. L’attrapait. </span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Il n’y avait pas de mot dans sa tête, un grand silence de vide. Une nappe blanche, déserte. Grillée. Mais l’étonnement qui venait se dessiner sur ce blanc, si on lui avait inventé une langue, aurait sans doute dit quelque chose comme ceci :</span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">(<b style=""><i style="">A</i></b>) – Est-il possible que j’ai connu ces paysages ? Est-il possible que ce soit <i style="">mon</i> pays ?</span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Mais il n’y avait qu’un espace sans voix à la place de ces mots.</span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">A force d’acharnement, il finit par atteindre un village. Le lieu était désert. Étrangement inhabité. Lentement, il en fit le tour. Interrogeant de sa parole muette les maisons abandonnées, les chemins sans vie. Il s’arrêta au centre du village, sur la place vide d’occupants et d’habitations. </span></p> <p style="text-align: justify; text-indent: 35.4pt;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Et c’est là que lui parvint un bruit. </span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Il n’était pas certain de ses oreilles – abîmées et trop jeunes à la fois. Il ne savait pas lui-même ce qu’il avait ressenti. Pourtant, il se dirigea vers l’endroit qui continuait à tisonner ses tympans. Il sortit bientôt du village – et se trouva face à une immense tente. </span></p> <p style="text-align: justify; text-indent: 35.4pt;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Il s’étonna de ne pas l’avoir remarquée lors de sa première exploration. </span></p> <p style="margin-left: 35.4pt; text-align: justify; text-indent: 35.4pt;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Et s’en approcha. </span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Bien que ses yeux n’aient jamais appris à compter, bien que son regard n’ait jamais été aveuglé par la présence d’autres corps, il comprit que tout le village était là – assemblé.</span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Une petite femme, très vieille et très sèche, s’adressait à eux dans une langue qu’il ne comprenait pas. Il regarda avec attention ces lèvres qui articulaient des sons inaudibles. Scruta avec patience la mobilité discrète de sa bouche, les claquements de la langue, et les mouvements qu’elle faisait parfois entre les lèvres et sur les dents. Vive comme un serpent, langoureuse parfois comme une lionne au soleil. Chaque mouvement, chaque déplacement de sa langue faisait naître en lui une éclosion d’images. Le serpent, la lionne. Le désert ensuite. Et la soif, la soif terrible quand la gorge de la vieille se mit à prononcer des sons qui venaient de son ventre. Le goût du sel sur une langue sèche. L’envol des oiseaux le matin quand un enfant court vers eux pour pouvoir les saisir – et s’envoler peut-être. La mer qui se retire, la mer qui se retire et découvre un sable humide et dur qui mange les traces des pas. Il vit la couleur bleu, le reflet indescriptible du rouge sur une peau sombre. Le chatouillement de la nuque quand on regarde un enfant dessiner ou qu’on vous chuchote lentement des mots dans votre oreille. Un goût aussi, un goût épais et lourd. Des mots vinrent s’ajouter aux couleurs, C’était une explosion de souvenirs, d’images. Il retrouvait dans ce langage qu’il ne comprenait pas – ce qu’il avait oublié, ce qu’il avait perdu en le soufflant dans le poumon du sol. Mais il n’en était pas accablé. Au contraire, il se sentait léger, emporté presque. </span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Quand la vieille femme se tut. Elle resta longtemps immobile. </span></p> <p style="text-align: justify; text-indent: 35.4pt;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Dressée, hiératique. </span></p> <p style="margin-left: 35.4pt; text-align: justify; text-indent: 35.4pt;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Et puis soudain, son regard se planta comme un pieu dans les yeux du vieil homme. </span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Elle traversa l’assemblée des villageois – qui la suivirent indistinctement – et s’approcha de celui qui se tenait à l’écart. Elle resta longtemps sans rien dire. Lui caressant le visage comme si elle retrouvait un amour perdu, cherchant derrière les traits vieillis le souvenir de ceux qui lui étaient – autrefois – familiers. Elle passa sa vieille main fragile dans les cheveux gris et longs et sales du vieil homme. Elle prit sa main qu’il avait maigre et calleuse dans les siennes pour les réchauffer. Et embrassa sa paume gauche. Et la plaça sur le front du vieillard. </span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">(<b style=""><i style="">B</i></b>) – Fergis, je te rends tes histoires. </span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Il fut surpris de comprendre ce que venait de lui dire la vieille femme. Comme si les images, les couleurs et les sons avaient ravivés le souvenir de cette langue qu’il ne parlait pas. Qu’il ne parlait plus. Qu’il n’avait peut-être jamais apprise.</span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">(<b style=""><i style="">B</i></b>) – C’est à toi qu’il revient désormais de les raconter.</span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">(<b style=""><i style="">A</i></b>) – Mais je ne sais pas dans quelle langue raconter ces souvenirs.</span></p> <p style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">(<b style=""><i style="">B</i></b>) – Sers-toi de celle qu’il y avait dans ta tête quand tu ne me comprenais pas. </span></p>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-12181370302792922892010-02-11T12:45:00.001+00:002010-02-15T19:28:07.489+00:00Faire sienne la sagesse du coup<div style="text-align: justify;font-family:times new roman;"><span style="font-size:100%;">Cogner la tristesse des mauvais jours aux résidus et aux faux-pas<br /><br /><span style="font-style: italic;">Une enclume tombe aussi vite qu’une plume – la masse n’a aucune incidence sur la vitesse de la chute. C’est la forme de l’objet – sa résistance à l’air – qui entraînera une différence à l’arrivée. </span><br /><br />Défaire l’attente – la faire tomber au-delà du sommeil – l’éreinter d’une fatigue plus grande encore – CAR IL NE SUFFIT PAS QUE LE CORPS NE SE TIENNE PLUS – encore faut-il qu’il accepte la défaite – qu’il consente au salut du sommeil et à l’affalement – CAR IL NE SUFFIT PAS QUE TOUTE LA CARCASSE TREMBLE – quand (entre tes bras, tenue) le souffle voudrait encore retrouver tes lèvres – il faut l’abandon, la chute ou, à défaut, le choc – promesse tenue par le réel (la seule peut-être).<br /><br /><br /><span style="font-style: italic;">Les galaxies, les planètes sont en chute permanente. </span><span style="font-style: italic;">L’univers tombe sur lui-même – seule son expansion les empêche de s’affaisser les unes sur les autres. </span><br /><span style="font-style: italic;">Conjonction d’une chute et d’une expansion. </span><br /><span style="font-style: italic;">Combat d’une dilatation et d'une contraction. </span><br /><span style="font-style: italic;">L’orbite elle-même est une chute libre qui n’en finirait pas. Comme d’un vide sans fond – qui nous verrait tomber.</span><br /><br />Une fois de plus ce soir cogner mon corps<br />Aux portes de l’épuisement<br />Une fois de plus ce soir<br />Le jeter lancer<br />Dis-je<br />Contre le silence<br />Et la nuit qui gagne<br />Trouver en soi la tenue de l’éclair<br />Trouver en soi<br />L’allant de la fin<br />Jeter toujours<br />Chaque soir<br />son corps<br />au plus loin<br />de moi-même<br />Pour m’assurer de l’achever sur son absence<br /><br /><span style="font-style: italic;">Est-ce qu’on peut fonder quelque chose sur une chute ? Est-ce qu’on peut construire – le mot n’est pas juste – s’appuyer alors en quelque manière que ce soit sur ce qui chute (au-dedans comme au dehors) ?</span><br /><br />Jeter mon corps chaque soir<br />Au devant de ses forces pour le contraindre à céder<br />À rompre<br />Un peu plus<br />Vite<br />Ce soir encore<br /><br /><span style="font-style: italic;">En août 1971, l’astronaute David Scott – membre éminent de la mission Apollo 15 – prit dans sa main une plume et un marteau pour vérifier la proposition sur la chute des corps énoncée par Galilée quelques quatre cent ans auparavant. </span><br /><span style="font-style: italic;">La plume et le marteau touchèrent le sol lunaire <a href="http://www.astrosurf.com/luxorion/Documents/galileo-a15-hr.mpg">au même moment.</a></span><br /><br />Conclusion périphérique : ce qui chute n’a pas nécessairement de corps.<br /><br /></span></div>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-52194686528433884122009-12-27T20:44:00.003+00:002010-02-17T11:36:09.732+00:00Epuiser le présent<div style="text-align: justify; font-family: times new roman;font-family:georgia;"><span style="font-size:100%;">Primat du visible moins du visible d’ailleurs que de ce que serait l’instant vécu en tant qu’on pourrait le transmettre, le raconter, le ressaisir par l’image ou dans les mots – réel de seconde main en quelque sorte – pris en étau entre le désir de ce qu’on voudrait se voir être, s’entendre dire, se voir dire et faire et ce qu’on pourrait en retransmettre, lente fabrication de l’image et de la mémoire, précieux miel qui demande le labeur des années, acharnement véritable et borné qui se coule dans un présent asservi au futur – tirant de cette présence même sa qualité, son intime valeur, alors même qu’il n’aura jamais été vécu, transporté seulement, d’avant en arrière, selon l’avant ou l’après de l’érection d’une substance : <span style="font-style: italic;">la servilité du temps pour la fabrique de soi</span>.</span></div>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-54127453052068663972009-12-27T18:44:00.004+00:002010-02-17T11:37:07.006+00:00Le passeport est la partie la plus noble de l’homme<span style="font-size:100%;"><br /><br /><a style="font-family: times new roman;" onblur="try {parent.deselectBloggerImageGracefully();} catch(e) {}" href="http://www.ardeche.pref.gouv.fr/sections/passeport_biometriqu/delivrance_du_passep/downloadFile/photo_2/passeport_ouvert.jpg"><img style="margin: 0px auto 10px; display: block; text-align: center; cursor: pointer; width: 345px; height: 467px;" src="http://www.ardeche.pref.gouv.fr/sections/passeport_biometriqu/delivrance_du_passep/downloadFile/photo_2/passeport_ouvert.jpg" alt="" border="0" /></a><br /><span style="font-family: times new roman;">Le passeport est la partie la plus noble de l’homme. D’ailleurs, un passeport ne se fabrique pas aussi simplement qu’un homme. On peut faire un homme n’importe où, le plus étourdiment du monde et sans motif raisonnable ; un passeport, jamais. Aussi reconnaît-on la valeur d’un bon passeport, tandis que la valeur d’un homme, si grande soit-elle, n’est pas forcément reconnue.</span><br /><span style="font-family: times new roman;"><span style="font-style: italic;">Dialogues d’exilés</span>, Bertolt Brecht</span></span>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-69691880880325116952009-12-23T10:28:00.007+00:002010-02-17T15:46:32.166+00:00La vie à rebours<div style="text-align: right;"><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: times new roman;">"Qui laisse une trace</span></span><br /><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: times new roman;">Laisse une plaie" Henri Michaux</span></span><br /></div><span style="font-size:100%;"><br /><span style="font-family: times new roman;">Tu n’as pas voulu grandir</span><br /><span style="font-family: times new roman;">- Un coup -</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Tu ne l’as pas dit comme ça mais c’est ce qu’il fallait comprendre dans ta résistance</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Dans ton obstination à lutter contre l’allant</span><br /><span style="font-family: times new roman;">- Un coup seulement -</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Ce n’était pas un refus du temps</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Ce n’était pas non plus de la persistance</span><br /><span style="font-family: times new roman;">C’était la simple révélation – la pure certitude – mure sans doute depuis longtemps en toi</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Que cet âge était le bon</span><br /><span style="font-family: times new roman;">- Automatique -</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Que ce moment-là de ta vie était le fait </span><br /><span style="font-family: times new roman;">- Un coup -</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Le point d’absolue concordance avec ce que tu étais</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Voulais être</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Aurais pu vouloir être</span><br /><span style="font-family: times new roman;">- Un seul -</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Mais n’avais pas été ou si proche de l’échec – et à une coudée du but – que c’était sensiblement le même terrain de jeu</span><br /><br /><span style="font-family: times new roman;">Tu n’as pas voulu attendre Tu n’as pas voulu décliner Tu n’as pas voulu t’éteindre</span><br /><br /><br /><span style="font-family: times new roman;">Peut-être qu’en chacun il y a un âge frontière – un âge d’accomplissement</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Mais tous nous continuons – ignorants qu’à présent c’est la pente qui nous coule – tous nous continuons abreuvés de pensées et d’espoirs déroulant nos carcasses en sifflant aux vaches qui marmonnent dans les prés</span><br /><br /><span style="font-family: times new roman;">Quand le point de savoir s’éveille</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Quand l’éclosion de la chute perce dans celui qui s’y trouve</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Il n’est pas possible de s’y tenir plus longtemps</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Refuser n’est pas une révolte</span><br /><br /><span style="font-family: times new roman;">Je ne veux pas grandir</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Elle a dit quelque chose comme ça</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Je ne veux pas grandir</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Ce n’était même pas, je ne veux pas mourir</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Non c’était, je ne veux pas grandir – parce que grandir, c’était pire que la mort</span><br /><br /><span style="font-family: times new roman;">Refuser n’est pas une révolte</span><br /><span style="font-family: times new roman;">pas une défaite non plus</span><br /><span style="font-family: times new roman;">le simple prolongement de ce savoir chèrement acquis par un corps de quatorze ans</span><br /><br /><span style="font-family: times new roman;">Une balle dans la tête</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Dans sa tête de quatorze ans</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Une seule balle pour un mètres quarante (elle n’était pas très grande pour son âge, m’a-t-on dit plus tard)</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Une seule balle pour quarante kilos (elle était un peu forte, m’a-t-on dit plus tard)</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Une seule balle suffit parfois pour être</span><br /><span style="font-family: times new roman;">en avance sur sa propre mort</span><br /><br /><span style="font-family: times new roman;">Fusil browning phoenix</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Automatique</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Manche en acajou relevé de ciselures métalliques</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Fusil browning phoenix</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Une belle pièce en vérité</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Fusil browning phoenix</span><br /><span style="font-family: times new roman;">de la série phoenix limited edition</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Un coup seulement</span><br /><br /><span style="font-family: times new roman;">Et la bibliothèque est partie avec</span><br /><span style="font-family: times new roman;">La vitre défoncée projetant dans toute la pièce ses éclats enrougis</span><br /><br /><span style="font-family: times new roman;">Le plus dur ça a été de nettoyer</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Ça a été de faire disparaître</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Enfin le mot n’est pas juste avaler plutôt</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Oui avaler serait plus juste</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Engorger même</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Le plus dur donc ça a été de faire avaler aux murs</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Au sol au plafond et aux meubles</span><br /><span style="font-family: times new roman;">La soif du sang</span><br /><span style="font-family: times new roman;">De faire pénétrer plutôt que disparaître</span><br /><span style="font-family: times new roman;">les traces</span></span>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-21447621342260255072009-12-14T14:56:00.003+00:002010-02-17T11:38:25.459+00:00Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés<span style="font-family: times new roman;">Cent corps</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Deux cent peut-être difficile la mesure du décompte quand le sien aussi file à vive allure</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Avale les pas dans le silence résonant d’une tête</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Semblable à d’autres têtes</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Surtout depuis l’intérieur – depuis la trace somnambule du brouillon empêtré</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Même visage au-dedans</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Semblable aussi quand il est porté ces matins-là</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Dans la bouche du métro</span><br /><span style="font-family: times new roman;">– On ne les voit pas –</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Dans la bouche du couloir</span><br /><span style="font-family: times new roman;">– On ne les voit pas –</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Dans l’œsophage du grand corps sans organe</span><br /><span style="font-family: times new roman;">– On ne les voit pas –</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Visage à tant d’autres semblables depuis leurs sommeils emportés</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Et silencieux</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Et secrets</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Et surtout – moins que les visages – parce qu’à brûle pourpoint</span><br /><span style="font-family: times new roman;">On ne les voit pas – les projette seulement au devant de soi</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Mécaniquement</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Tout aussi abstraitement que la courbe de ce couloir parfaitement retenue</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Que le nombre de marches entre le seuil et le quai</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Que la tenue de la rambarde qui ne suffit pas aux envies d’en finir</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Fantômes tendus entre la réalité et la projection</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Entités mathématiques probables</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Dont il faut éviter la course</span><br /><span style="font-family: times new roman;">– On ne les voit pas –</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Ce qui est sûr seulement</span><br /><span style="font-family: times new roman;">C’est le silence des bouches</span><br /><span style="font-family: times new roman;">L’engouffrement silencieux du vent qui hurle au métro – libre parce qu’enfermé</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Vent de claustrophobie</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Le même que celui qui étouffe dans les prisons qui suffoque dans l’espace étroit des chambres</span><br /><span style="font-family: times new roman;">mortuaires</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Un vent qui crève sur place mais qui ne veut pas mourir</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Vent clos sur lui-même</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Bien que circulant</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Le silence du couloir</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Et du vent qui n’en finit pas de gerber</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Le silence du vent</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Sur lequel viennent s’écraser autant de pas</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Autant de rythmes, un convulsif de semelles</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Repris</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Scandé</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Toujours le même rythme</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Toujours</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Sur le silence du vent qui s’accroche</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Et ce rythme du matin</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Cette cadence éteinte</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Du corps qui ne s’éveille pas</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Et qui retournera le soir</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Au même rythme</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Du même pas</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Le vent dans l’autre sens</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Toujours près à tourner encore un peu</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Reconduire au lendemain</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Le bruit des autres fois</span>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-71447243470824710672009-11-10T14:01:00.005+00:002010-02-17T15:49:01.551+00:00Allonger la fêlure<a onblur="try {parent.deselectBloggerImageGracefully();} catch(e) {}" href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhCeTMoRDImth2uhNvTpdI6pqO2uRQPNaa6fCmOPvE-s99MwNxUnwhD-7SePdS_7YLP1TUePbSsur3FdyxwMSLnCPMe5yepjyNeXuHXCggJtHqSu5lgSVN50yBw1Y_mXPWG2LelFXoUcTM/s1600-h/CIMG0035.JPG"><img style="margin: 0px auto 10px; display: block; text-align: center; cursor: pointer; width: 400px; height: 224px;" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhCeTMoRDImth2uhNvTpdI6pqO2uRQPNaa6fCmOPvE-s99MwNxUnwhD-7SePdS_7YLP1TUePbSsur3FdyxwMSLnCPMe5yepjyNeXuHXCggJtHqSu5lgSVN50yBw1Y_mXPWG2LelFXoUcTM/s400/CIMG0035.JPG" alt="" id="BLOGGER_PHOTO_ID_5402475410938599074" border="0" /></a><br /><span style="font-size:100%;"><span style="font-family: times new roman;">Que reste-t-il au penseur abstrait lorsqu'il donne des conseils de sagesse de distinction ? Alors, toujours parler de la blessure <span style="font-style: italic;">de </span>Bousque, de l'alcoolisme <span style="font-style: italic;"> de </span>Fitzerald et <span style="font-style: italic;">de </span>Lowry, de la folie <span style="font-style: italic;">de </span>Nietzsche et <span style="font-style: italic;">d'</span>Artaud en restant sur le rivage ? devenir le professionnel de ces causeries ? Souhaiter seulement que ceux qui furent frappés ne s'abîment pas trop ? Faire des quêtes et des numéros spéciaux ? Ou bien aller soi-même y voir un petit peu, être un peu alcoolique, un peu fou, un peu suicidaire, un peu guérillero, juste assez pour allonger la fêlure, mais pas trop pour ne pas l'approfondir irrémédiablement ? Où qu'on se tourne, tout semble triste. En vérité, comment rester à la surface sans demeurer sur le rivage ? Comment se sauver en sauvant la surface, et toute organisation de surface, y compris le langage et la vie ? Comment atteindre à cette politique, à cette guérilla complète." Gilles Deleuze, <span style="font-style: italic;">Logique du sens</span>.</span></span>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-73185780948793533342009-10-17T16:31:00.002+01:002010-02-17T15:50:55.442+00:00Où la mémoire s'arrête<div style="text-align: right;"><span style="font-size:85%;"><span style="font-family: times new roman;">« Je ne comprends pas le temps, je ne comprends que l’Espace. »</span></span><br /><span style="font-size:85%;"><span style="font-family: times new roman;">Marina Tsvetaïeva, Lettre à Boris Pasternak, Mokropsy, 9 mars 1923.</span></span><br /></div><br /><span style="font-family: times new roman;">Essayer de battre la nuit à son propre jeu, la prendre à rebours, depuis l’aube pour la faire remonter au coucher des lumières. Reprendre la vie depuis la fin, relever le corps de la vieille morte dans la pièce d’à-côté, reprendre ses vêtements, peigner ses cheveux gris, emmêlés par les cahots du cercueil, réveiller tous les morts : le malade, l’assassin, l’accidenté succombant aux séquelles, la petite leucémique, le pendu de la famille, le noyé de la famille, le second pendu de la famille… Les réveiller tous à grand coup de claques et les ramener depuis la fin jusqu’au début de leur vie.</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Faire de même avec la nuit. Avec cette nuit qui me semble impossible à passer, impossible à franchir – alors qu’il suffirait de se couler dedans. Est-ce qu’il faudrait tirer le corps dehors pour l’épuiser contre le monde, pour éroder ce trop plein de soi qui m’étouffe chaque jour un peu plus.</span><br /><br /><span style="font-family: times new roman;">Esquiver toujours à dessein ce qui cherche à nous perdre.</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Comme de marcher sur son ombre – on finira bien par y arriver.</span>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-33646831786823961032009-10-16T12:17:00.003+01:002010-02-17T15:51:43.479+00:00Arrêter les choses avant qu'elles ne prennent fin<div style="text-align: justify; font-family: times new roman;">Ma journée trébuche sur ces heures qui ne veulent pas finir. Le ciel bleu tenu serré par les grands murs blancs de mon intérieur peine à trouver la porte de sortie – à peine si je me prends à marcher d’un endroit à un autre pour les aider à fuir. Je contemple l’activité molle du passage avec une indifférence somnambulique, comme arrachée à moi-même du spectacle que je contemple. Le corps lui-même, comme enterré jusqu’au désir, s’entraine encore à respirer tandis que le voisin poursuit son labeur de rénovation : voilà bientôt trois mois que l’appartement du rez-de-chaussée s’ébroue en scie sauteuse, parquets et planches. Il me semblait pourtant qu’il ne s’agissait que d’un studio.<br />Erreur manifeste.<br /><br /><br /><div style="text-align: center;">« J’ai fait de moi ce que je ne savais pas,<br />Et ce que je pouvais faire de moi, je ne l’ai pas fait.<br />Le domino que j’ai mis n’était pas le bon.<br />On m’a tout de suite pris pour qui je n’étais pas,<br />je n’ai pas démenti, je me suis perdu.<br />Quand j’ai voulu arracher le masque,<br />Il me collait au visage.<br />Quand je l’ai retiré, je me suis regardé dans la glace,<br />J’avais déjà vieilli.<br />J’étais saoul à ne plus savoir enfiler le domino que je n’avais pas enlevé.<br />J’ai jeté le masque et j’ai couché au vestiaire<br />Comme un chien toléré par la direction<br />Parce qu’il est inoffensif. » Fernando Pessoa, <span style="font-style: italic;">Bureau de Tabac</span>.<br /></div><br /></div>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-73405483952937085752009-09-22T15:57:00.003+01:002009-09-24T10:46:16.782+01:00Heures grises<div style="text-align: center;"><iframe allowfullscreen='allowfullscreen' webkitallowfullscreen='webkitallowfullscreen' mozallowfullscreen='mozallowfullscreen' width='320' height='266' src='https://www.blogger.com/video.g?token=AD6v5dz4TD90C4qo4_TLG6rHv6x4lWHpOrkaTos07CzXELOsurljWZofCNoBCH-P2_tWF1OZ39q9a6-AGKxv3Cn-Mg' class='b-hbp-video b-uploaded' frameborder='0'></iframe></div>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-62883217676709916612009-08-26T18:13:00.003+01:002010-02-17T11:39:32.131+00:00Ce qui ne veut pas partir<div style="text-align: right; font-family: times new roman;font-family:georgia;"><span style="font-size:100%;"><span style="font-size:85%;">« La catastrophe consiste à arrêter les choses<br />avant qu’elles ne prennent fin » Jean Baudrillard, </span><span style="font-style: italic;font-size:85%;" >Les stratégies fatales</span><span style="font-size:85%;">.</span><br /></span></div><span style="font-family: times new roman;font-size:100%;" ><br />Paris l’été s’offre comme un fruit trop mur délaissé par quelque gourmand écœuré de son sucre rance : la ville se survit à elle-même dans la chaleur du gris des routes – écorchées vives par les travaux, les arrachages de crépis et les nouveaux bitumes qui s’apprêtent à couler. Vide et pourtant fourmillante sous les assauts répétés des constructions et des chantiers qui hérissent les quartiers de millier de non-lieux. La ville est délogée d’elle-même pendant le temps que dure cette intense activité. Mise en quarantaine dans sa propre chambre tandis que s’affaire le peuple des changeurs d’allure. Bientôt, elle retrouvera son rythme chaotique, plus neuve et retenue qu’elle ne l’était l’année précédente.<br />Et pourtant, regardant bien, on découvrirait qu’elle n’a pas changé et que les déshabillements estivaux ne sont que des parades destinées à occuper l’air dense d’un mois d’août qui ne veut pas partir.</span>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-75970821210786291262009-08-20T13:44:00.005+01:002010-02-17T15:52:13.617+00:00L'inconnue<div style="text-align: justify; font-family: times new roman;"><a onblur="try {parent.deselectBloggerImageGracefully();} catch(e) {}" href="http://2.bp.blogspot.com/_HPSb8ZFjhM0/So1HnkvcP3I/AAAAAAAAArQ/JI-ZC1oSAZc/s1600-h/0-0-GLK.jpg"><img style="margin: 0px auto 10px; display: block; text-align: center; cursor: pointer; width: 132px; height: 176px;" src="http://2.bp.blogspot.com/_HPSb8ZFjhM0/So1HnkvcP3I/AAAAAAAAArQ/JI-ZC1oSAZc/s400/0-0-GLK.jpg" alt="" id="BLOGGER_PHOTO_ID_5372028675725999986" border="0" /></a><br />Ça faisait plusieurs mois que ça durait – le bal des allers et venues nocturnes – clôture du parc – 8h : tout le monde dehors – et puis un peu plus tard dans la nuit, ils y revenaient tous. Le scénario s’inversait sur le matin – 8 heures en hiver, 7 heures en été – c’était le réveil, le nettoyage du parc. La ritournelle dont personne n’était dupe mais qui venait jouer à l’impression de l’ordre – d’un ordre hygiénique et sain, reconduit chaque jour avec la même précision : les marges du parc n’étaient concédées que pour des entractes nocturnes. Et la fermeture de Sangatte n’y pouvait rien changer.<br />De jour, le parc s’improvisait des airs de fête foraine – avec des corps allongés partout – sous les tilleuls, au bord du kiosque – de la musique dans les radios et des langues à n’en plus parler. Et c’était à ce moment-là, celui du plus de bruit et de chahut, qu’ils semblaient dormir le mieux : la présence de ceux qui avaient le droit donnait un semblant de tranquillité à leurs siestes endimanchées.<br />Mais la nuit, c’était tout autre chose – on l’appelait le Petit Kaboul, le Sangatte Parisien – parce qu’il y en avait eu un mort d’un couteau dans le thorax, parce qu'ils aspiraient à l’autre côté de la Manche, et parce que surtout ça parlait ici le dari et le pachtou.<br />Ils le savaient bien eux – tout le monde le savait ici – qu’il y avait un trou dans les grilles à l’endroit même du noisetier qui se tord dans l’angle au bord du Canal, ils le savaient tous que les gars, quand ils partaient, ils allaient s’assoir sur la place de la Gare de l’Est, sur les quelques bancs qui trainent dans le quartier, et puis qu’ils y revenaient : ils le savaient, par habitude d’abord – parce que ça faisait des mois que ça durait ; et puis ils le savaient aussi aux couvertures, aux vêtements, aux petits postes de radios laissés par ceux-là même qui allaient revenir, sous les fourrés, derrière les bancs, dans l’angle opposé à celui du barreau manquant.<br />Déjà l’été dernier, ça leur avait pris : le grand ménage… Mais cette fois là, ils avaient les chiens, les costumes et le moral aussi haut que les jambières. Postés partout, un homme tout les quinze mètres pour entourer la verdure parisienne, quelques autres à l’intérieur, avec des chiens, et deux ou trois cars pas bien loin, histoire d’assurer les arrières en cas de rébellion. Mais qui se rebellerait ici ? Qui ? Pas eux en tout cas, qui partaient sans broncher, dormir une nuit de plus près des porches des gares ; pas nous non plus, qui regardions ce spectacle avec la tranquillité effarée d’un bon peuple bien pensant ; pas ceux non plus qui se coulaient sur les routes chaudes, parlant mille autres langues que la nôtre et la leur – surtout pas eux d’ailleurs, venus troquer quelques jours de bonne fortune contre un mauvais cœur à prendre, surtout pas nous non plus – parce que c’est un délit – <span style="font-style: italic;">délit de solidarité</span> lit-on dans les journaux.<br />Ce soir-là – pas plus que les autres soirs – il n’y aura pas eu de délit, il n’y aura pas eu d’affrontement, il n’y aura pas eu de flashball ou de tazer ; il y aura seulement eu du déni, de l’humiliation de part et d’autre et des gorges pachtounes sanglées par de l’orgueil.<br />L’ordre est un subterfuge mathématique – une équation qu’on résout contre le réel – pour étouffer les inconnues : le gaz lacrymogène chahutant les yeux en pleine nuit ; l’impossible combinaison des quatre-vingt place libres du dortoir contre les deux cents corps qui ne trouvent pas de place ; le gouffre des degrés qui s’ouvre entre leur herbe et nos toits.<br />Ça c’est passé hier.<br />Je le découvre ce soir – en franchissant les lignes de corps pliés par l’exercice à la distribution des places.<br />Et je sais que je traverserai à nouveau le parc – clôturé de remords. Ce sera, comme chaque fois, le parc – celui des campements improvisés sous les feuillages, celui des langues inconnues, des vies en transit, des vies de passage qui attendent au bord de l’eau que le temps parte avec la pluie. Ce ne sera plus que le parc du murier blanc centenaire, que personne ne connaît, mais dont la seule présence suffit à égayer les abords du Canal.<br />Pourtant, ils seront toujours là, eux – pour occuper le cache misère qui achète nos consciences tandis que nos grands d’arme s’apprêtent à démanteler Calais. La jungle rendra gorge, qu’ils ont dit – et eux, alors, où iront-ils ? Dans d’autres parcs gardés par d’autres hommes ? Sous d’autres bancs – puisqu’on ne peut plus dormir dessus ?<br />Il faudra bien qu’on se résolve à trouver l’inconnue dans l’équation des lits qui font défaut.<br /><br /></div>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-47185969660770437372009-08-16T12:27:00.002+01:002010-02-17T15:52:45.047+00:00Alors qu'elles n'ont jamais été<a style="font-family: times new roman;" onblur="try {parent.deselectBloggerImageGracefully();} catch(e) {}" href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiN_X7hMD9Mn8jcjb_dHIadUkBPfirj16Lir_nI8EA3z6C3WLEkhoA8dQN59joGKghvgl8VeYEv5YZO4gYPq59yY-zW_fuksabPsoYyfxpmH0tR2YGMrvBKEpIb_wm8FOXPawYzzyjZRpg/s1600-h/Moulage.jpg"><img style="margin: 0px auto 10px; display: block; text-align: center; cursor: pointer; width: 400px; height: 267px;" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiN_X7hMD9Mn8jcjb_dHIadUkBPfirj16Lir_nI8EA3z6C3WLEkhoA8dQN59joGKghvgl8VeYEv5YZO4gYPq59yY-zW_fuksabPsoYyfxpmH0tR2YGMrvBKEpIb_wm8FOXPawYzzyjZRpg/s400/Moulage.jpg" alt="" id="BLOGGER_PHOTO_ID_5370522077989643154" border="0" /></a><br /><span style="font-family: times new roman;">Le ventre plein de son corps d’il y a vingt cinq ans, suspendu aux poutres du garage – offert aux regards de tous dans ses formes fragiles.</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Et l’autre, celui des quelques mois d’après, quand le corps porté commençait à découvrir ses lignes intimes – corps de la mère taisant la fille à venir – déplacé, comme le cadavre fragile d’un vieux corps chéri, par la mère et la fille, ensemble, dans la chambre – délicatement posé à même le sol des tomettes pour un trop long sommeil.</span>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-85350537935086428322009-07-28T16:05:00.002+01:002010-02-17T15:53:19.536+00:00La lente percée du soir en moi<span style="font-family: times new roman;">Ces mots – offerts incandescents aux cartes du soir – continuent leur percée lente et mystérieuse</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Un peu comme cette phrase – sertie un soir de gouffre par des mains inconnues – </span><span style="font-style: italic; font-family: times new roman;">dans la destruction, je m’obsède</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Et aujourd’hui – donc</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Les tiens de mots qui s’accrochent à mes pensées comme ces reclus courbés sur leurs montagnes</span><br /><span style="font-style: italic; font-family: times new roman;">Le mensonge est-il révélateur de l’inconsistance ?</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Et comment pour moi ne pas entendre derrière le fatras de questions et de nécessités qui bringuebalent en casserole dans mon passé d’épée</span>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-3862714402399945472009-07-27T19:11:00.004+01:002010-02-17T15:53:45.544+00:00Seuls les chiens savent où ils vont<a style="font-family: times new roman;" onblur="try {parent.deselectBloggerImageGracefully();} catch(e) {}" href="http://1.bp.blogspot.com/_HPSb8ZFjhM0/Sm4aBA-IoyI/AAAAAAAAAqo/xV7SuVII2Hg/s1600-h/San+Christobal+de+las+Casas+%2827%29.JPG"><img style="margin: 0px auto 10px; display: block; text-align: center; cursor: pointer; width: 400px; height: 225px;" src="http://1.bp.blogspot.com/_HPSb8ZFjhM0/Sm4aBA-IoyI/AAAAAAAAAqo/xV7SuVII2Hg/s400/San+Christobal+de+las+Casas+%2827%29.JPG" alt="" id="BLOGGER_PHOTO_ID_5363252810987643682" border="0" /></a><br /><br /><span style="font-family: times new roman;">Les chiens savent où ils vont – de travers bien souvent – le corps à l’angle oblique de la route – contraints par on ne sait qu’elle ironie biologique à toujours emprunter une posture de traverse quand bien même ils voudraient filer droit – décidés de leur pas trottinant, dans l’obscurité des plages nocturnes ou sur les chemins caprins – le chien va son rythme de fortune, seul détenteur de son savoir secret.</span>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-35710918021558635862009-07-23T16:06:00.002+01:002010-02-17T15:54:02.952+00:00Je reviens de chez vous<div style="text-align: right; font-family: times new roman;"><span style="font-size:85%;">« La vie me fait mal à petit bruit, à petites gorgées,</span><br /><span style="font-size:85%;">par les interstices. Tout cela est imprimé</span><br /><span style="font-size:85%;">en caractère tout petit, dans un livre</span><br /><span style="font-size:85%;">dont la brochure se consume déjà. »</span><br /><span style="font-size:85%;">Fernando Pessoa, <span style="font-style: italic;">Le livre de l’intranquillité</span>.</span><br /></div><div style="text-align: justify; font-family: times new roman;"><br /><br />Je reviens de chez vous. Il y a toujours cette même pluie douce et fine qui cache les larmes que je ne peux pas pleurer. Comme chaque fois, je retrouve le canal – si triste sous ses branches coulées – comme chaque fois le parc – celui des campements improvisés sous les feuillages, celui des langues inconnues, des vies en transit, des vies de passage qui attendent au bord de l’eau que le temps parte avec la pluie. C’est le parc du mûrier blanc, de ce mûrier que je n’ai jamais vu – que je n’ai pas cherché mais dont j’aime à penser qu’il se trouve tout proche.<br />Je reviens de chez vous avec vos mots, charriés par mes pas – si opaques et si justes. J’ai tout vos mots avec moi, vos mains vieillies et vos petits cheveux, votre regard surtout – bleu – couleur d’aluminium s’il n’était pas gris. Nous nous sommes peu parlé – vos gestes si lents et si plein occupent tous ces blancs qui nous sont familiers. Et la petite pluie fine – toujours qui berce mes pensées. Et tandis que je plie mon corps à la torpeur de notre rencontre – je les vois eux. Assis sur des plastiques à l’endroit du parc où l’herbe se dodeline. Lui, surtout, avec son étrange sweat-shirt comme arraché à une de ces séries américaines d’il y a plus de trente ans.<br />Lui qui n’a rien, il rit, se livrant au périlleux exercice physiques – les mains plantées dans la boue du parc – que scande, joyeux, le décompte des syllabes de son ami assis. Je ne connais pas leur langue, j’ai oublié les chiffres – il s’écroule heureux et épuisé sur le sol encore humide.<br />Je me presse d’oublier l’indécence de ces larmes que la pluie n’effacera pas. Ils ont repris leur jeu de gosse.<br /></div>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-49335379349096635992009-06-22T17:28:00.001+01:002010-02-17T15:54:43.736+00:00L'ordonnance du monde<span style="font-family: times new roman;">Chaque être est inséré dans l’ordonnance du monde (l’instinct des animaux, les coutumes des hommes), chacun emploie le temps comme il convient. Moi pas, « mon » temps, d’habitude, est béant, béant en moi comme une blessure. Tantôt ne sachant que faire et tantôt me précipitant, ne sachant où commence, où finit ma besogne, m’agitant fébrile et désordre, à demi distrait. pourtant, je sais m’y prendre ... Mais l’angoisse est latente et s’écoule en forme de fièvre, d’impatience, d’avarice (peur imbécile de perdre mon temps).</span><br /><span style="font-family: times new roman;">George Bataille, « le TRAVAIL, la CHANCE » (écrit du 15 au 19 avril 1943).</span>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-39896841264516840902009-05-12T16:22:00.002+01:002010-02-17T15:55:04.444+00:00De l'autre côté<span style="font-family: times new roman;">Se retrouver – 6 ans après – dans les fenêtres d’en face. Et retrouver la lumière du matin qui troue le damier des routes dans le même sens parce que les fenêtres d’en face regardent encore la même lumière – 6 ans après. Se retrouver de l’autre côté de ces fenêtres. Derrière d’autres fenêtres. Et reconnaître ses pieds – léchés le matin par le pinceau qui court dans le mince interstice entre la porte et le sol. Revoir ces arbres dressés devant les murs si vieux. Chercher dans les branchages la petite fenêtre derrière les stores de bois. Celle si étroite – calfeutrée comme une tanière. Chercher la lumière la même qu’il y a six ans. Derrière les feuilles vertes. Pousser la porte de la boulangerie. Celle où l’on se retrouvait à 6h du matin devant le store beige qui cachait la lumière attendant l’ouverture.</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Se retrouver six après au bord du gouffre mais de l’autre côté.</span>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-25748695182102753092009-05-11T17:15:00.005+01:002010-02-17T15:55:29.659+00:00La condition de fragilité<div style="text-align: justify; font-family: times new roman;"><a onblur="try {parent.deselectBloggerImageGracefully();} catch(e) {}" href="http://1.bp.blogspot.com/_HPSb8ZFjhM0/SghQnbsJOEI/AAAAAAAAApE/W5X4e2SGSXc/s1600-h/3.JPG"><img style="margin: 0px auto 10px; display: block; text-align: center; cursor: pointer; width: 267px; height: 400px;" src="http://1.bp.blogspot.com/_HPSb8ZFjhM0/SghQnbsJOEI/AAAAAAAAApE/W5X4e2SGSXc/s400/3.JPG" alt="" id="BLOGGER_PHOTO_ID_5334602396998383682" border="0" /></a><br /><br />On l’a appris hier de sa bouche à elle qui rapportait ses mots à lui, sa bouche qui disait – troublées par l’écho dans la chair que ces paroles avaient produites – sa bouche qui disait combien, combien il était resté froid en déroulant son gros secret et comme il avait dit <span style="font-style: italic;">gros </span>(c’est elle qui le faisait remarquer et non pas lui qui l’avait dit sans y penser coulant dans ce mot la forme de son aveu) <span style="font-style: italic;">gros secret </span>pour dire la charge brisée dans son corps gros pour dire ce qui avait franchit outrepassé brisé dans les ourlets de son intimité trop jeune gros secret récité d’une voix métallique alors qu’en face l’autre celle qui avait été choisie pour recueillir ces premiers mots pleurait<br />De sa voix pleurait<br />Et des larmes coulaient<br />Qu’il ne pouvait pleurer<br />Et sa voix récitait le silence acheté l’argent versé dans ses quinze ans naïfs qui devait apporter aux proches des plaisirs pour porter la trace de celui qu’il avait donné<br />Et sa voix appelait convoquait ce qu’en lui la parole avait tari avait éteint les heures d’année qui érodent<br />Et sa voix – trop sèche trop froide trop dure – charriait avec avidité les plis de ce qui fut trop longuement gravé dans son corps de lait<br />On l’a appris hier et son visage d’amande revenait en mémoire avec ses grands yeux bleus toujours gorgés de larmes<br />Hier sa voix sur le fil d’une lame qui dansait dans les décombres de ces jours pour l’imminente colère qui l’aurait englouti, pour la terrible haine dévorante là – car c’est toujours ici que perce la tenaille des poings serrés – là même où encore trop blanc de lait son corps<br /><br />Loin de lui-même comme il était resté à distance respectable pour que les mots trouvent un chemin de fortune à travers les pierres posées jours après jours par le silence acheté<br />Yeux bleus gorgés de sable<br />Bouche incarnadine fine sur la peau pâle<br />Et cheveux de poupon<br />Fins tellement fins<br />Que c’est comme d’une finesse qui n’aurait pas grandie<br />Alors le regard posé sur des écrans plaques de vies substituées et la nuit arrachée au moment du repos placée sous l’égide de cette foule nombreuse qui criait au supplice dans son ventre trop étroit<br />Et la nuit hagarde alors de l’équation qu’elle ne voulait résoudre<br /><br />Il s’est tenu au seuil de ses yeux – bleus de sable – pour ne pas avoir à verser dans l’immense gouffre des douleurs pénétrantes<br /><br />Chaque nuit où il devait se lever – sachant – car la régularité plie le corps à l’habitude – lui fait mâcher ce savoir de douleur – se lever en sachant où chaque coup de pédale conduisait dans la nuit<br />Comment la route des petits pavillons dans le lotissement rose aux allées bien rangées débordait vers sa nuit déjà blette<br />Comment le vent humectait ses yeux de sable – imprimait sur ses joues rouges l’aigreur du froid matin<br />Et chaque matin chaque nuit chaque jour de chaque semaine pendant quatre ans y aller de son corps en plein dans la tempête<br /><br />Il n’y a que ces verres brisés au fond de ses souvenirs d’enfance – et les nuits dévorées par l’écran de l’image assise sur son sexe qui occupait ses mains et les nuits et les jours vides habités de couleurs haute résolution et ses heures et ses manies d’enfant trop grand pressées contre le flanc de silhouettes 32 bits<br /><br />Chaque jour, la paye de l’apprenti devenait instant fragile<br />Chaque jour, des billets passaient de mains à mains<br /><br />J’ai quinze ans<br />Je suis pâtissier<br />Et je lèche des croissants<br /><br />Et lui qui bandait chaque matin<br />Qui attendait le bruit du vélo qui se gare<br />Qui attendait le corps fragile<br />Qui le brisait à coup d’humiliations projectiles<br />Qui le tirait de son sommeil pour lui apprendre le commerce du pain et le commerce du sexe<br /><br />Contrat d’apprentissage<br /><br />C’est ce qui avait été écrit sur le papier qu’ils avaient signé – le tampon de l’école inscrit dans le cadre supérieur<br />Feuillet de quatre pages<br />Engagement mutuel des parties<br />Etabli en trois exemplaires<br /><br />Celui qui bandait il s’appelait le maître<br />Celui qui suçait il s’appelait l’apprenti<br /><br />Il avait son enfance de colère détruite au fond de lui – souterrain de brûlures inenttendues – qui attendait toujours le moment de le perdre – de le projeter crânement contre une porte close – ou du haut de ce pont qu’il prenait à vélo – pont rouge de ces villes à petites gares qui courbe l’échine sur les rails du train – du haut du rouge il aurait pu car la vue est belle du moment que l’on tombe : sur la gauche, on trouverait encore, derrière les gravats, des voitures qui s’empilent et les marques bleues de ce qui fut l’ancienne brasserie locale. Et sur la droite – plus loin – un nom allemand ou alsacien accroché à nulle part, excroissance géographique du lieu qui lui donnerait l’air enfantin d’un pays de merveilles.<br /><br /><br />Et voilà que le père – au moment où l’aveu vous écorche la gorge – cèdent les résistances sous les coups de butoir de mots trop longtemps tus – dégorgent les paroles, maladroites, boitillantes, si peu rompues au difficile exercice de la narration – et comment pourrait-on et même le faudrait-il, rapporter les fractures du corps dans une longue coulée trop plate trop molle et trop tranquille – au moment où les yeux gorgés de sel ne plissent pas pour des larmes muettes – au moment où ses mains habilles ne tremblent pas, pliant et repliant l’ourlet du pantalon entre ses doigts nerveux – au moment où la mère, assise sur ce grand tabouret de bar, prépare la pâte à pain du lendemain matin – au moment où le père franchit la porte qui le menait des rues polies aux chambrettes de bricole, s’avance dans la cuisine pour déposer sur les joues de la femme ses libations quotidiennes, et frotte des moustaches raides contre la peau trop rouge – au moment où la digue enfin rompue vomit ce que taisait le corps – voilà que le père – sous les mots malhabiles, comprend, entend de ce fils inexpiable – envie, avidité presque.<br /><br />Et le garçon pourtant déjà plus grand – d’une tête au moins malgré ses cheveux fins – tellement plus grand dans ses membres étirés – déjà plus grand – s’effondre.<br /><br />Le pont rouge qui enjambe les trains comme il aurait dû – comme il l’a manqué – comme sa bouche est bordée de ces remords que le père voudrait, veut entendre prononcés<br />Pour absolution<br />Pour pureté<br />Pour réparation<br /><br />Et le père cherche alors dans la maisonnette de fortune les cadeaux du fils, marques souillées accrochées au mur – trophées de sa concupiscence – pour les jeter au fleuve dans la rivière qui noie à cent mètres de là les inquiétudes des vaches.<br /><br />Il ne pensait pas, lui, le père, avoir un jour à affronter un fils de prostitution.<br /><br />Mais l’aveu ne lave pas – il emplit au contraire, grève la mince pellicule de salut de soi que le temps aurait réussi à construire et alors ce n’est plus que le gouffre des percées, le vide des torpeurs trop pleines le temps inhabitable de ceux qui n’ont assise, lieu – en dérive de soi – toujours.<br /><br /><br />Je m’adresse à toi sous la corolle de ton nom pour offrir en partage cette juste mesure<br /><br /><br />Et elle, la mère, devant les mots prononcés ou plutôt devant ceux qui pour n’avoir pas été dits appelaient son désir nécessité aveugle de savoir tout connaître tout – parce qu’elle avait su que dans un cahier qu’elle n’avait pas lu, qu’elle n’avait pas pu lire, qu’il ne lui aurait jamais permis de lire, il avait écrit tout, détaillé tout – du premier frôlement des fesses aux poings dans l’anus – tout y avait été mis – c’était ce savoir-là qu’elle voulait pour elle seule, pour savoir seule ce qui s’était passé, pour faire territoire de son corps de gerçures<br />Et camper là, s’y ficher au point d’y déloger le fils<br />De lui ôter le droit de sa mémoire<br />De sa souffrance<br />Pour ce presque savoir<br />Elle<br /><br /><span style="font-style: italic;">When I close my eyes I can’t stop the video playing in my head</span><br /><br /><br />Et je regarde son cœur comme un chien qui veut mordre.<br /></div>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-44089779375840829472009-05-09T18:18:00.004+01:002010-02-17T15:55:49.420+00:00Le temps en gris et bleu<a style="font-family: times new roman;" onblur="try {parent.deselectBloggerImageGracefully();} catch(e) {}" href="http://2.bp.blogspot.com/_HPSb8ZFjhM0/SgaewlvLcqI/AAAAAAAAAo8/Nh_fg1Zifbo/s1600-h/23.jpg"><img style="margin: 0px auto 10px; display: block; text-align: center; cursor: pointer; width: 253px; height: 400px;" src="http://2.bp.blogspot.com/_HPSb8ZFjhM0/SgaewlvLcqI/AAAAAAAAAo8/Nh_fg1Zifbo/s400/23.jpg" alt="" id="BLOGGER_PHOTO_ID_5334125366267835042" border="0" /></a><br /><div style="text-align: justify; font-family: times new roman;">Tout les samedis avec ma fille, on va à Carrefour - celui du 3e étage avec des pans inclinés qui vous conduisent plus haut encore – pour aller trouver ce qui manque.<br />Tous les samedis. Elle vient me prendre. Avec sa Renault 5 rouge. Et on va faire les courses. J’ai soixante-treize ans aujourd’hui. Et comme c’est mon anniversaire. J’ai acheté deux steaks de viande hallal et deux canettes de Red Bull. Vous savez ces bouteilles en métal gris et bleu.<br />C’est pour mon anniversaire.<br />J’habite dans une petite maison. Avec mon fils. C’est lui qui fait à manger. Même s’il ne voit plus. Mais là. Il est hospitalisé. parce que son ventre sortait sous sa peau. C’est ce que les médecins ont dit. Et qu’on avait trop tardé. Mais il avait rien dit. Et moi. Je touche pas son ventre tous les jours pour voir si ça fait mal ou si ça ne sort pas trop.<br />Vous connaissez le Red Bull ? C’est une boisson bleue et argent. Comme les voitures de sport.<br />J’ai eu deux bouteilles aujourd’hui. Pour mon anniversaire.<br /></div>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4423838065452293742.post-32559047852787236362009-05-01T19:18:00.004+01:002010-02-17T15:56:12.358+00:00En réserve<a style="font-family: times new roman;" onblur="try {parent.deselectBloggerImageGracefully();} catch(e) {}" href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhyCDOs-85BYfB1MAoMa59zJ3NoRfj4T6t00PH8YQirpT80mn6RTToB2nU6opkOGqkucsWuaE5EifOmc7_rN0Y7rUXnHIID68Oon7IiP7iKj3DkMq-QwN5nFLwq9gPuNfdglmshPhy6Q_U/s1600-h/Mona+Hatoum+-+Beirut+1952.jpg"><img style="margin: 0px auto 10px; display: block; text-align: center; cursor: pointer; width: 400px; height: 282px;" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhyCDOs-85BYfB1MAoMa59zJ3NoRfj4T6t00PH8YQirpT80mn6RTToB2nU6opkOGqkucsWuaE5EifOmc7_rN0Y7rUXnHIID68Oon7IiP7iKj3DkMq-QwN5nFLwq9gPuNfdglmshPhy6Q_U/s400/Mona+Hatoum+-+Beirut+1952.jpg" alt="" id="BLOGGER_PHOTO_ID_5331129931141387698" border="0" /></a><br /><div style="text-align: center; font-style: italic; font-family: times new roman;"><span style="font-size:85%;">Mona Hatoum. Roadworks, Beirut 1952.<br /><br /></span></div><span style="font-family: times new roman;">Bêtes pour avoir été intelligents trop tôt. Toi, ne te hâte pas vers l'adaptation. Toujours garde en réserve de l'inadaptation.</span><br /><br /><span style="font-family: times new roman;">L'homme qui sait se reposer, le cou sur une ficelle tendue, n'aura que faire des enseignements d'un philosophe qui aura besoin d'un lit.</span><br /><br /><span style="font-family: times new roman;">Communiquer ? Toi aussi tu voudrais communiquer ?</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Communiquer quoi ? Tes remblais ? - la même erreur toujours.</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Vos remblais les uns les autres ?</span><br /><span style="font-family: times new roman;">Tu n'es pas encore assez intime avec toi, malheureux, pour avoir à communiquer.</span><br /><br /><span style="font-family: times new roman;">Henri Michaux, </span><span style="font-style: italic; font-family: times new roman;">Poteaux d'angle.</span>B.http://www.blogger.com/profile/06949136321725934058noreply@blogger.com0