La parole empruntée [2]




Il faudrait le silence
– C’est ici que commence l’histoire de ces trois voix.
Mais d’abord le silence.

Au commencement était le corps – muet et silencieux.
Au commencement étaient les corps, celui de l’autre et les siens – tous ces corps de soi que l’on traîne et que l’on porte, tous ces fragments de voix, de vies et de destins.
Au commencement était le jeu – image de se rencontrer soi – surface trouble et changeante – d’un rôle que l’on compose, qui se compose, et s’invente – chemin en découverte des visages étrangers qui se proposent au texte, espace intérieur et intime à arpenter au-dedans pour des voyages en creux.

Et alors naît l’espace
Et s’ouvre un courant d’air pour que le souffle passe

Puis on entend une voix – presque un chant – celle qui convoque encore les métamorphosés
Amnésiques de toute chose : Le chœur dithyrambique est un chœur de métamorphosés qui ont entièrement perdu le souvenir de leur passé familial, de leur position civique
L’enchantement de la métamorphose est la condition préalable de tout art dramatique.

L’enchantement de la métamorphose répète toujours la voix
Et elle grandit, se fait chaos de langue plus sonore et puissante
Partir dans une mue – poser la précédente – s’offrir à la surface, à sa propre surface.
La voix se tait alors – elle est suivie d’une seconde – aussi ferme mais plus posée – qui se module comme un vieux rythme
Émerge autant que possible de ta propre surface. Que le risque soit ta clarté. Comme un vieux rire. Dans une entière modestie.

C’est la seconde voix que l’on entend finir. Mais l’on marche dans la clarté d’un informulé, inavouable aussi, qui n’a de sens que dans ce consentement, cet égarement assumé qui est aussi partance.

Quatrième jour – celui pour la communauté d’une petite chambre – assise dans le même rôle et qui cherche à tâtons au théâtre du Soleil – comment a pu naître le monde et d’où viennent les personnages. Communauté d’une parole prêtée, empruntée, rendue – dans la naissance d’une figure. Communauté d’un territoire où n’existe que l’être-ensemble – terrain vague pour les mondes enfants dans le son d’une cloche.

Cinquième jour – un autre – pas de côté pour des mondes en exil
On se tient sur la crête de l’injustifiable – seulement
Et devant l’autre, celui sur scène qui se prête au jeu, devant les autres, ceux attentifs, qui se tiennent dans la salle, devant le société, comme elle (ne) va (pas), et devant les formules sociologiques, politiques et économiques, on part en écart, en marge – par rapport à soi, par rapport au reste – on tend à l’incidence, au latéral. On se tient dans le rien, dans l’essentiel improductif qui a le goût de superflu. On ne vient pas troquer, le temps d’un battement d’heure, quelques fragrances d’illusion, images carte-postale joliment modulées.
Et depuis ce non-lieu, on voit courir le monde
C’est que l’on touche bas – rasant – en-deçà du spectaculaire et au-delà du médiatique
Le mot s’engouffre et touche au vrai

Sixième jour – Une troisième voix se fait entendre, grandit. Elle parle mécanique, elle débite des listes – récite journaux gratuits, suppléments fidélités, télévision et supermarché. Elle parle en langue vaine, propose des vingt pour cent bonheur, des compléments retraite et santé assurée.
Les voix de tout à l’heure se sont tues. On ne les entend plus.
Il n’y a que la voix des listes – posée et charmante – ouverte dans ses voyelles, posée dans ses consonnes.

Septième jour – On n’entend plus les voix.

Et pourtant – tendant l’oreille – s’il l’on y prenait garde – sous les effets de listes et de sonates publicitaires – elle chantonne doucement. La mélodie petite, plus douce, des voix qui se sont tues.

1 commentaires:

Que le risque soit ta clarté.

Et l'effacement soit ma façon de resplendir

Jaccottet

18 novembre 2007 à 12:43  

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