« Tout homme porte une chambre en lui.
C’est un fait qui peut même se vérifier à l’oreille.
Quand un homme marche vite et que l’on écoute attentivement,
la nuit peut-être, tout étant silencieux alentour,
on entend par exemple le brimbalement d’une glace
qui n’est pas bien fixée au mur. » Franz Kafka, Le Terrier.

En vieil allemand la devinette se disait tunkal, ce que je puis traduire par la chose ténébreuse, la chose oppressante, la chose qui plonge l'esprit dans une ténèbre, qui voue l'esprit à une quête désespérante, à une enquête d'autant plus humiliante qu'il y a une solution précédente - précédant sa vie - et qu'il ne se voit pas capable de savoir où aller la chercher puisqu'il est vivant.
La devinette ne parle que de la scène qui précède la vie chez les vivants.
Elle refoule la scène des animaux qui s'étreignent.
Elle l'orne tout en empêchant de la voir.
Tout, dans la façon paradoxale, tordue, torte, impossible, dont est posée la question de la devinette, est fait pour dérouter la quête et en rendre l'objet invisible.
Il est vraisemblable que l'écho du langage dans l'esprit (la conscience) impose de faire croire à la vérité des devinettes. Mais il est possible que la bonne question ne soit qu'une invention. Il est possible que tout récit humain soit un mythe qui ne concerne pas les événements de sa propre vie mais que seule la possibilité de la narration la rende vivable. Il faut un nom à l'anonyme.
Toutes les vies sont fausses.
C'est la narration qui est vive, ou vitale, ou vitalisante, ou revivifiante.
Il est possible que les romanciers soient les seuls à savoir l'erreur - puisqu'ils consacrent leur temps à travailler à son errance - que toute narration engendre et l'étrange vitalité qui naît de cette fiction. Les seuls à savoir qu'il y a autant de romans possibles et aucune vérité en amont d'eux. Qu'il y a autant de questions possibles et aucune devinette véritablement posée derrière chaque drame qui y progresse. C'est pourquoi les hommes aiment tant à passer des examens, des concours, des initiations, des élections, font tant de compétitions, lisent tant de romans à énigme, s'amusent inexplicablement à faire des mot croisés. Ils veulent croire qu'il y a une réponse qui précède leur question là où il n'y a que cri de pulmonation, scène invisible, questionnement corporel dénué de fin, contingence sexuelle. Ils veulent croire qu'il y a un chiffrement initial, qu'il y a une direction ou une promesse à leurs jours.
Chaque homme veut croire qu'à la serrure indesserrable et gémissante et rouillée que chaque homme est devenu il y a une clé. Qu'un mot de passe peut faire pénétrer dans un groupe et éviter la mort sacrificielle qui s'y prépare sans cesse avec un trompètement de harde, un meuglement de troupeau, une allégresse solidaire qui ne s'avoue pas. Qu'un piston peut faire démarrer la machine sociale qui n'est qu'un échafaud et qu'un tumulus. Qu'un animal zodiaque influe, qu'un dieu existe qui fait passer de l'obscurité au soleil, qu'il y a un chiffreur à la nuit et une voix qui ordonne le chaos humain quand il se décompose dans la mort.

Pascal Quignard, Les ombres errantes.

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