Paul Claudel - cents phrases pour éventail -


Je porte des langues, voilà ce qui tant pèse

le poids de toutes ces langues, chargées, denses, épaisses de tant de mots - que trop épaisses parfois - mais je porte ces langues - un peu comme un grand pull - et la laine contre la peau qui écorce parfois - toutes ces langues traînées, partout, emmenées avec soi - parce qu'il faut bien dire - et le grand pull immense, déployé, dont on ne sait que faire. Toutes ces langues charriées, parlées pour faire monde, et dans les mains étrangères - comme des baies - glissées.

Et quelles langues tu portes, vers quels lieux tu les mènes et pourquoi ces voyages ? Il y a surtout celle secrète, celle qui s'écrit dans l'entre-deux de nos instants et qui se refusera toujours

Langue écrite pour ne pas être lue, tracée pour ton regard seul - langue comme une robe que l'on met dans sa chambre - les soirs - pour se trouver jolie, langue de tes instants qui sont sans partage, seulement les traits tracés à l'ombre de ta correspondance

C'est la langue que tu parles et l'on goutte à sa source

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