"Moi ici, ici ; moi qui puis te dire tout cela, qui aurait pu te le dire, qui ne te le dis pas, qui ne te l’ai pas dit ; moi avec le martagon à gauche, moi avec la raiponce, moi avec ce qui s'est consumé, avec la bougie, moi avec le jour, moi avec les jours, moi ici et moi là-bas, moi, accompagné peut-être maintenant par l'amour de ceux qui ne furent pas aimés, moi en chemin vers moi là-haut."

Qui ne te l'ai pas dit, qui aurait pu le dire, qui ne le dirait pas

Ce qui aurait pu être dit, ce qui aurait pu être tu
Ce qui n’a pas été dit mais qui ne se résoudra jamais dans la profération des mots pressentis.

Descendre



« Descendons à présent dans le monde aveugle », commença le poète en pâlissant, « je serai le premier, toi le second ». Et moi, qui avais remarqué sa couleur, je dis : « Comment viendrai-je, si tu crains, toi qui d’habitude réconforte les douleurs ? » Et lui : « C’est la souffrances des ombres qui sont ici, qui peint sur mon visage cette pitié que tu prends pour la peur. Allons, le chemin nous pousse. » Dante, L’Enfer, Chant IV.

Descendre - plus loin encore. Et tenir d'une même main la pitié et la peur.

« M’entends-tu, tu m’entends, c’est moi, moi, moi et celui que tu entends, que tu crois entendre, moi et l’autre »

« Je vous en supplie

faites quelque chose

apprenez un pas

une danse

quelque chose qui vous justifie

qui vous donne le droit

d'être habillés de votre peau de votre poil

apprenez à marcher et à rire

parce que ce serait trop bête

à la fin

que tant soient morts

et que vous viviez

sans rien faire de votre vie. »

(Poème cité par François Bott dans « Entretien avec Charlotte Delbo : 'Je me sers de la littérature comme d'une arme' », Le Monde, 20 juin 1975).


Le ministère de l'Education Nationale a publié un appel d'offre le 15 octobre pour une veille d'opinion sur internet, Fabula avait en premier rendu compte de celui-ci. Le texte continue d'engendrer bouillons et écumes...

Ce projet, paru au Bulletin Officiel des Annonces des Marchés Publics consultable ici, vise à :
"Identifier les thèmes stratégiques (pérennes, prévisibles ou émergents)
Identifier et analyser les sources stratégiques ou structurant l’opinion
Repérer les leaders d’opinion, les lanceurs d’alerte et analyser leur potentiel d’influence et leur capacité à se constituer en réseau
Décrypter les sources des débats et leurs modes de propagation
Repérer les informations signifiantes (en particulier les signaux faibles)
Suivre les informations signifiantes dans le temps
Relever des indicateurs quantitatifs (volume des contributions, nombre de commentaires,
audience, etc.)
Rapprocher ces informations et les interpréter
Anticiper et évaluer les risques de contagion et de crise Alerter et préconiser en conséquence
Les informations signifiantes pertinentes sont celles qui préfigurent un débat, un « risque opinion » potentiel, une crise ou tout temps fort à venir dans lesquels les ministères se trouveraient impliqués."

Et Me Véronique Mély, à l'origine de l'appel d'offres, de répondre :
"En aucun cas, on ne peut parler de fichage ou de surveillance. Il ne s'agit absolument pas d'identifier des cas individuels ou de constituer des fiches nominatives. Tout cela procède du fantasme. Nous voulons seulement savoir quel site a de l'influence, évaluer les audiences. En clair nous voulons écouter tous ceux qui veulent se faire entendre sur le web" (Source : Libération, "Veille d'opinion dans l'éducation"
Il ne s'agirait en réalité que de quelques conflits terminologiques et autres broutilles verbales - car toujours selon la même Me Mély :
"Cette année nous avons introduit des précisions dans le «cahier des clauses particulières»: nous parlons notamment de repérer des «leaders d'opinion», les «lanceurs d'alerte», etc. Mais ce vocabulaire a été mal interprété, particulèrement le second terme. Or s'agissant d'un appel d'offres, il nous fallait préciser au maximum le produit que l'on demande à la société prestataire. Et nous avons utilisé la terminologie habituelle pour ce type de service."

Rassurons-nous et retournons à la fameuse circulaire :

"La veille sur Internet portera sur les sources stratégiques en ligne : sites «commentateurs » de l’actualité, revendicatifs, informatifs, participatifs, politiques, etc. Elle portera ainsi sur les médias en ligne, les sites de syndicats, de partis politiques, les portails thématiques ou régionaux, les sites militants d’associations, de mouvements revendicatifs ou alternatifs, de leaders d’opinion. La veille portera également sur les moteurs généralistes, les forums grand public et spécialisés, les blogs, les pages personnelles, les réseaux sociaux, ainsi que sur les appels et pétitions en ligne, et sur les autres formats de diffusion (vidéos, etc.)
[...]
Clé de voûte du dispositif de veille, le passage en « mode alerte » visera à transmettre systématiquement les informations stratégiques ou les signaux faibles susceptibles de monter de manière inhabituellement accélérée.
[...]
Les vidéos, pétitions en ligne, appels à démission, doivent être suivis avec une attention particulière et signalées en temps réel."
Extraits tirés du CCP n° 2008/57 du 15 octobre 2008


Les premiers mots de Hegel dans sa Philosophie de l’esprit de 1805 sont pour la nuit, celle de l'homme vide :

« C’est la nuit, l’intérieur de la nature qui existe ici – pur soi – dans les représentations fantasmagoriques ; c’est la nuit tout autour ; ici surgit alors subitement une tête ensanglantée, là une autre silhouette blanche, et elles disparaissent de même. C’est cette nuit qu’on découvre lorsqu’on regarde un homme dans les yeux – on plonge son regard dans une nuit qui devient effroyable, c’est la nuit du monde qui s’avance ici à la rencontre de chacun. »



On décline souvent les lignes – plus ou moins contraignantes, plus ou moins serpentines.
Ligne de conduite, ligne de la main, ligne de portée, ligne de forces, ligne de démarcation,
De failles,
De flottaison,
D’arrivée,
De touche,
D’horizon,
De foulées,
Des hanches…

À présent que le monde est en ligne, que les gigaoctets pulsent nos rythmes, nos aujourd’huis et nos savoirs, j’ai un faible pour les lignes de fuite, qui mènent on ne sait trop où...



"L'entaille.Le trait, bref, instantané.
Rectiligne.
Il s'inscrit dans de grandes sinuosités d'ensemble, des ovales. Des diagonales, des mises en travers, qui sont comme les tendeurs d'une ordonnance en croix.
Le cubisme a réinventé cette dynamique, source de déséquilibre, donc d'énergie, à partir d'une structure stable, immuable : verticalité, horizontalité. Pas d'expression. Ou plutôt, pas d'expressivité. Ni sourire ni prière ni cruauté ni consolation. L'accident du quotidien n'a pas place. Ni le signe distinctif de l'individuel.
Cependant, aucune figure Mezcala ne reproduit l'autre. Chacune est incomparable, s'inscrivant dans un style d'une cohésion rigoureuse qui fait le paradoxe de cet art. Comme s'il était issu de la main (de l'âme) d'un seul créateur. Quel autre exemple d'une pareille unité dans la diversité ? Les Cyclades ? Mais on pense aussi à l'île de Pâques. Pâques et ses statues gigantesques. Les Mezcala ont cet attribut, la monumentalité.
Quelle que soit leur dimension (généralement modeste). Hauts comme trois pommes ils paraissent colossaux, dressés dans un espace illimité. Hors temps. Compacité de la masse, fluidité des lignes qui la composent. Tension et harmonie. Que raconte Mezcala ? Rien. Aucun support à la narration. Que font ces représentations humaines ? Rien. Elles sont là."

Michel Vinaver, Figures de Pierre, livret d'exposition d'une exposition consacrée à l'art du Guerrero dans le Mexique précolombien



Il y a plusieurs façons de s’égarer ou voyager dans le cimetière du père Lachaise. Et chaque périple à son modèle. En se prêtant au jeu des portraits, on pourrait distinguer le déambulateur organisé du prédateur névrotique, et le prédateur névrotique de l’ignorant tranquille.

1er personnage, errance 1. La forme organisée nécessite, avant toute chose, la possession d’un guide, d’un dépliant détaillant au plus précis les différents points de célébrité incontournables. Le trajet se transforme alors en collection de lieux, de bons numéros et de ponts aux ânes… Il faut compter le nombre de cases, de rangées, de lignes et de tombes avant d’atteindre celle tant attendue. C’est mathématique comme une grille de Sudoku aussi poétique qu’un carré magique. On s’assoie alors sur Marcel Proust pour immortaliser les retrouvailles, s’alanguit sur Oscar Wilde, s’ébroue sur Arthur Rimbaud… L’espace se vide, se concentre autour de points de densité, de centres dorés et ébouriffants et certains ont des airs à venir faire leurs courses dans le supermarché des corps…

2nd personnage, errance 2. Le périple du prédateur névrotique est plus circonstanciel et ne se rencontre qu’à cette période fleurie des tâches jaunes et blanches, quand les proches réels, les intimes font silence sur les lieux de leurs morts. Alors qu’il erre dans les allées, sur les pavés gris comme le ciel sans reflet, notre spécimen scrute les attroupements, la moindre grappe de gens recueillis avec force marques de dévotion, fleurs, bougies, encens – signes qu’on ne s’assemble pas pour rien ! Avec un air circonspect et comme déjà concerné, le prédateur s’approche du groupe ainsi constitué et se glisse dans le rang. À pleines bouchées alors, il demande à son voisin de qui est-ce la tombe, pensant avoir à faire à l’un des grands labels recueillant une grande âme. Mais déjà la famille s’étonne de voir l’inconnu parmi eux, la gêne les traverse tous et leurs bouches, comme en cœur, renvoient notre bonhomme à d’autres tombes à reluquer.

3e personnage, errance 3. L’ignorant tranquille, enfin, ne voit rien du lieu. Rien qui ne pourrait faire l’objet de ces listes, ou qui viendrait nourrir quelques dodus paragraphes d’un guide touristique. Non, l’ignorant tranquille erre – tout simplement. Il prend même, inconsciemment, un soin presque coquet à éviter les majuscules et les grands noms. Frôlant de près telle tombe grandiose, s’écartant d’un fil des dépouilles de Mr un tel… Il promène son ingénuité dans les allées, s’attarde sur les promeneurs égarés comme lui. Il sort content de sa ballade, en se disant que demain, lui aussi, il s’achètera un guide.

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