C’est la morale dominante qui définit la marginalité. Une morale où ce qui était symbolique est devenu imaginaire (image du papier ou image sur des écrans, ou images dans les fantasmes et dans les rêves) ne peut intégrer à son système de représentation des modes sans images (littérature, musique).La marginalisation des écrivains et des musiciens est certaine et durable.La valorisation des peintres, des architectes, des modèles, des stars de cinéma, des politiques, des animateurs, des prêcheurs, des violents, des morts-en-direct est sûre. Elle est attestée depuis 1933. Il n’y a pas lieu de faire persister la lutte sur un front perdu. On ne peut que transformer la marginalité sociale en dissidence. On ne peut que transformer une marginalité de statut en anachorèse dirimante.
Pascal Quignard, Les ombres errantes.

"Au milieu du monde serein de la maladie mentale, l'homme moderne ne communique plus avec le fou ; il y a d'une part l'homme de raison qui délègue vers la folie le médecin, n'autorisant ainsi de rapport qu'à travers l'universalité abstraite de la maladie ; il y a d'autre part l'homme de folie qui ne communique avec l'autre que par l'intermédiaire d'une raison tout aussi abstraite, qui est ordre, contrainte physique et morale, pression anonyme du groupe, exigence de conformité. De langage commun, il n'y en a pas ; ou plutôt il n'y en a plus ; la constitution de la folie comme maladie mentale, à la fin du XVIIIe siècle, dresse le constat d'un dialogue rompu, donne la séparation comme déjà acquise, et enfonce dans l'oubli tous ces mots imparfaits, sans syntaxe fixe, un peu balbutiants, dans lesquels se faisait l'échange de la folie et de la raison. Le langage de la psychiatrie, qui est monologue de la raison sur la folie, n'a pu s'établir que sur un tel silence.
Je n'ai pas voulu faire l'histoire de ce langage ; plutôt l'archéologie de ce silence."
Michel Foucault, Préface de L'histoire de la folie à l'âge classique.

On avoue ses crimes, on avoue ses péchés, on avoue ses pensées et ses désirs, on avoue son passé et ses rêves, on avoue son enfance ; on avoue ses maladies et ses misères ; on s’emploie avec la plus grande exactitude à dire ce qu’il y a de plus difficile à dire ; on avoue en public et en privé, à ses parents, à ses éducateurs, à son médecin, à ceux qu’on aime ; on se fait à soi-même, dans le plaisir et la peine, des aveux impossibles à tout autre, et dont on fait des livres. On avoue – ou on est forcé d’avouer.
Michel Foucault, histoire de la sexualité

N'avouer jamais - donc - se taire - et fuire l'aveu de soi le biographique en étalage et la bonne consience du pour-bien-faire


Le goût un peu pâteux d'une langue épaisse, déroulée en périodes, en binaire en ternaire - de la langue à dire, à mettre en bouche sans modération - de la langue comme du chewing-gum il en n'en va pas autrement - et l'on prend la main dans le noir à tâtons.

***

Alors l'homme de lettres, le savant & l'artiste marchent dans les ténebres; s'ils font quelques progrès, ils en sont redevables au hasard; ils arrivent comme un voyageur égaré qui suit la bonne voie sans le savoir. Il est donc de la derniere importance de bien exposer la métaphysique des choses, ou leurs raisons premieres & générales; le reste en deviendra plus lumineux & plus assûré dans l'esprit. Tous ces prétendus mysteres tant reprochés à quelques sciences, & tant allégués par d'autres pour pallier les leurs, discutés métaphysiquement, s'évanoüissent comme les phantômes de la nuit à l'approche du jour. L'art éclairé dès le premier pas s'avancera sûrement, rapidement, & toujours par la voie la plus courte.
Art. Encyclopédie, in Encyclopédie.

- Pourquoi ?
- Pourquoi quoi ?
- Pourquoi rin
- Et ?
- Pourquoi rin et... et ...et et et et ?
- Et puis quoi ?
- A rin dit rin vu rin fait
- Pourquoi quoi ?
- Pourquoi qu’qu’chose et pas rin ?
A me demande
- Te demande ça toi ?
- Oui pourquoi qu’qu’chose et pas rin ?
- Grande grande grande formule
- A sais quelque chose toi ?
- A sais pas
- Toi a sais pas ! Toi a sais pas ?!
- A sais pas
Parce que toi a sais peut-être ?
- Pourquoi pas rin et qu’qu’chose ?
- Rien du tout du tout du tout
- Et pi pourquoi ?
- Grande grande formule
- Et pas de réponse ?
- Nan !
- Pourquoi ?
- Sais pas te dis sais pas sais pas
Existe c’est déjà bien
- A’xiste A’xiste oui mais pourquoi ?
- Peut pas savoir voilà voilà la chose peut fourmiller tournebouler dans ta chambre de tête peut pas savoir pourquoi jamais dans la grande maison des philosophes-penseurs on a trouvé jamais a te dit alors peut pas trouver ce qui peut justifier jamais les rouleurs de cerveaux avec leur bicyclette d’immenses questions charriées de pleins de réponses ils n’ont trouvé Jamais pas dans ta maison de tête rien dans ton crâne dans le ciel de tes idées rien pour murmurer la formule impénétrable la chose indécise de circonstance et obscure dans son champ d’interrogations peut pas trouver comme ça toujours a un moment elle chute près de la tête des philosophes-penseurs et elle se pose sur toi vite vite vite alors a cherche la réponse des gyrophares de funambules plein dans la tête plein de chaos qu’assaille la surface de pensée des rayons de lumière partout dans la petite tête de l’enfant-question mais rien dans les faisceaux qui brûlent rien pour apaiser le tumulte ça clignote de partout partout c’est du bruit du son de l’incompréhensible comme au cinéma projeté mais là c’est dans la tête dans la niche de silence que c’est normalement ta tête allongé c’est plus que ça des paroles qui se parlent des silences impossibles des voix partout partout partout toutes différentes enchevêtrées qui ne veulent pas se taire – les voix – on voudrait mais peut pas rien plein de lumière partout trop trop pour dormir et le silence de la chambre des pensées que l’on ne retrouve pas a voudrait te dire que ça s’arrête que les fleurs de la pensées sont pleines de réponses pour tes étincelles mais pas vrai rien à te dire pour les enfants de question rien n’arrête les voix rien pour étouffer les faire taire toujours là aimerait te dire que pourquoi seulement peut-être bientôt la fin des foudres mais il y a des enfants-questions qui restent dans leur tête et la vie de nuit quand ça les prend toujours là dans le fond pas de niche de silence pour se reclure au calme rien du bruit de questions que pas même les philosophes-penseurs peuvent y résoudre vraiment peux pas te dire la paix parce que arrive parfois mais pas toujours non plus a pas la réponse c’est tout - moi plein de bruit fureur dans ma tête grande moi plein de souffles de marées qui puent jamais silence non enfant-question déjà jamais de paroles extérieures mais en intérieur ça faisait des flops des brouillements de sons partout dans la sphère de ma pensée
- A sait pas ?
- Non a sais pas
- Pourquoi ?
- Rien rien sais pas c’est tout
- Comment ferme le tumulte des tempes comment fais pour que ça stoppe les marches de questions qui montent nulle part
- Peut pas faire taire parfois ça reste part pas et ta tête de question comme prison de bruit mais parfois plus souvent ça se tait dans l’intérieur ça se tait avec l’agitation du corps avec les foules de gestes les mouvements plus nombreux - pas toujours - tu peux agiter beaucoup beaucoup les bras et ça reste parfois les brûlures de silence
- A saurait jamais pourquoi – pourquoi quelque chose et pas pourquoi rien
- Les philosophes-penseurs ils ont beaucoup défrichés le monde des interrogations mais pas cette réponse pas de réponse à ça
- Jamais jamais alors ?
- Jamais jamais
- Pourquoi a’xiste ?
- Toi ?
- Oui pourquoi a’xiste ?
- Toi toi toi toi ? Pourquoi existe vraiment ?
- Oui
- Oula la la la la la !
- Quoi ?!
- Oulalalalalala
- Quoi ?! pourquoi a dis ça ?
- Oulalalalalalalalalalalalalalala !
- Quoi ? quoi ? quoi ? faut pas poser la question ? Pourquoi a dis ça pourquoi ?
- Le monde est composé de plis, plis de matière et plis de temps – plis de toutes choses et plis de pas grands choses mais qui sont la base de tout. Viennent ensuite s’ajouter en plus de tous ces plis – qui compliquent pas mal (disons vraiment la chose) des déformations de matière, de l’espace et du temps dûes (les déformations) à la présence de cette même matière. Tout tient en équilibre dans les replis qui se recouvrent. La matière, vois-tu, ou plutôt la masse est à l’origine de la déformation de l’espace-temps : c’est plus dense par endroit par endroit ; on est plus là où l’on est parce que la masse pèse comme une nappe tendue repliées par endroit avec des balles dessus comme ça et là où se trouvent les boules là la vie est plus dense voilà voilà là où il faut se tenir qui dit pourquoi existe et pourquoi existe pas : au bord de la vie plus dense de la nappe.
- A comprends rien moi veux savoir seulement pourquoi pourquoi toi pourquoi moi et ces choses qui sont là pourquoi le père pas là pourquoi la mère comme ça et le frère déglingué pourquoi mon chien y grogne de voir les gens qui se lèchent pourquoi y a que du rin sur le carré de la télé pourquoi le cheval des strates il trépigne en fumée
- Le cheval des strates ?
- Celui des cailloux de ta tête celui qui germe en tambour quand allongé a rumines
- Celui qui fait du brouillard parce que tu sais pas comment le prendre ?
- Oui celui pour faire taire les paroles questionnantes
- Il faut charger les pensées bien au fond de ta boîte à souffle
- Et comment je fais ça
- Tu ventiles au-dedans – tu nettoyes les interstices de ton crâne, de ton ventre, de tes bras, tes mains, chevilles et molets pour que ça circule c’est là-dedans que ça doit bouger circuler bien plus fort allonge-toi de tout ton plat de corps que tu sois comme le sol lève les bras dessus toi et regarde les danser regarde comme c’est beau seulement deux mains qui se lèvent deux mains qui se regardent et sont comme amoureuses ça fait l’amour deux mains mais on n’y fait pas gaffe

« Il serait à désirer que les bons poètes misent à profits l’inspiration naïve de nos pères » Promenades des souvenirs – 1854 - Nerval

Le soir, c’est souvent le soir, ou bien c’est en plein jour quand vous n’êtes pas seul, justement quand vous n’êtes pas seul, ou plutôt dans la solitude d’être avec des inconnus qui ne vous regardent pas, dans le confinement du métro, ou dans la nuit d’un théâtre, et dans la nuit de la chambre, c’est tous les jours, ces minutes de concentration physique, pendant lesquelles vous éprouvez la poussée de la mort. D’aucuns parleraient de la fuite du temps. Mais le temps ne fuit pas, il vous pousse comme une force blanche, il s’insinue dans vos expirations, et alors vous pensez, vous y pensez de toute votre cage thoracique, que le souffle d’air qui vient de sortir n’est plus, sitôt été, que le mur bleu éteint de la chambre n’est plus, que le plafond où erre votre vision n’a pas d'identité. Vous y êtes. Au point ultime de contraction où votre corps vous fait comprendre, à sa manière bien à lui, que votre passé, que votre à-venir, ne sont que lieux de mémoire. Vous voudriez repousser l’espace à ses extrémités, vous en extraire pour voir ce qui reste. Vous arrêtez de respirer. Vous arrivez sur le point de nuit, vous ne faîtes qu’y arriver. Car bientôt s’engouffre une salve de durée, qui vous décharge, qui vous disculpe, de votre tâche infinie. Vous avez peur. Vous vous dites que vous avez le temps. Vous avez peur.

« Je ne sais pas l’art d’être clair pour qui ne veut pas être attentif .»

Rousseau, Contrat social.

"Ne serait-ce pas une monarchie absolue, lorsque tout l’essentiel est fait en secret par un cabinet, tandis qu’avec pompe un parlement peut parler et discuter officiellement des formes ? Dans ce cas, une monarchie absolue pourrait fort bien avoir une sorte de Constitution, qui pour les sots n’aurait pas de mal à paraître républicaine."

Fragments de l'Athaeneum, 1798.

Soupape. L’appel d’air qu’on souffle en un soupir. On ferme les yeux, mais ça ne se voit pas. Puis on attend de se refaire un corps architectonique qui tienne la carcasse de ses forces vives. Mal au dos quand même à me tenir ainsi assise sans tenue et toute aspirée par les touches muettes. J’attends que les tendons entre mes chairs me rappellent leur départ de vie, parce que là, je n’en peux plus de ces froissements de doigts oublieux de leur vitesse et de leur formidable attachement au reste. C’est monstrueux de s’oublier ainsi soi-même et d’oser écrire cela, reste. Est-ce le reste qui prend l’initiative d’ouvrir les vannes et d’avancer ailleurs sur le papier pixel, et quel voie peut-il bien explorer, ce reste qui appelle et crie et me pince les vertèbres pour me réveiller, où plutôt me tirer, depuis son propre sommeil, vers ses différentiels de vie, déplacements vivaces de l’être en le reste de ce corps qui tient tout seul et sans égard, qui remue à tout petit feu entretenu d’oubli ? j’ai honte de l’abandonner ainsi quand les pieuvres n’écrivent même plus pour elles. On appelle cela du travail. Les pieuvres travaillent d’arrache-ongle, mais j’ai bien peur que ce soit en vain. Qu’est-ce qu’elles peuvent bien agréger à s’évertuer ainsi contre le délai de leur propre mouvement ? Toute autre tâche, je dis bien toute autre, me les rendrait plus aimables. Toi, tu as trouvé, tu roules loin, tu t’enfonces dans les non-lieux et tu reviens toute embuée de joie, réchauffée au vent de ta vitesse entière et dépliée, fraîchie de toi-même, tout près, tout près de toi et partout en tes muscles fourmillant. Des escarbilles dans les yeux, et le souffle souverain. Tu prends le livre, et tu t’y loges à nouveau, le crayon alerte et griffu. Le mien me tombe haut des mains.

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