Souvent on le fait sans y penser – paraît-il
Dans mon cas, non
Mais paraît-il que les gens
Certains
C’est sans y penser qu’ils le font
Je n’y crois pas trop à vrai dire
Mais on me l’a dit
On me l’a dit
Vraiment
Qui ?
Je ne sais plus trop à vrai dire
Non
Sans importance
Tu sais
C’est déjà que je te regrette
Déjà que ce n’est même pas encore fait
Que déjà tu me manques
Vrai
C’est comme un grand trou dans mon ventre
Un grand vide qui prend tout
Tu vois ce que je veux te dire
Pas trop, n’est-ce pas
C’est pas grave
Je te regrette déjà
Déjà oui
C’est pas qu’on se connaisse
Non
Pas vraiment
Mais de t’imaginer
Soudain comme au-delà
Ça me brise
Vrai
Ça me déchire l’intérieur
Comme des aiguilles qui percent le ventre
Parce que je t’aime
Vrai
Mais c’est pour ça d’ailleurs qu’on ne se voit plus
Que ça doit finir
Parce que je t’aime
Tu comprends ça
Tu arrives à l’entendre
Je veux que ça au moins ce soit sûr entre nous
Ce soit dit
Je t’aime
Je t’aimerais toujours
Même au-delà de ce trou dans mon ventre
Toujours cet espace là
C’est le tien qu’il sera
Tu vois ?
Non
Mais parait-il que les gens
Les gens quand ils le font
C’est comme sans y penser
C’est comme descendre le sac en plastique vert de la poubelle
Celui des choses qu’on jette parce qu’on ne peut pas les trier
Celui des épluchures, du marc de café, de la poussière et des déchets
C’est comme porter un truc qui pue pendant les quelques marches
Qui descendent l’escalier
La mains serrée sur le plastique
On ouvre le couvercle de la grosse poubelle du bas de l’immeuble
Celle qui est toujours pleine même après le jour des éboueurs
Et on lance le sac dedans
C’est comme le sac vert de la poubelle
Ça pue pendant quelques secondes
L’odeur vous colle aux doigts
Mais on le fait sans y penser
Oui ce n’est pas qu’une image, je crois
Ça se passe pareil
On n’y prête pas attention
Et en moins de deux
C’est fini
On est vide et propre
Comme un grand vide au creux du ventre
Sans y penser
Ce serait bien
Tu comprends ce que j’essaye de te dire ou c’est trop compliqué ?
Je ne veux pas t’offrir un monde de merdre
Je ne veux pas t’offrir ce monde
Ça non je ne veux pas
C’est pour ça tu vois
À cause de ça seulement
Tu sais combien de gens
Vivent là
Combien on est là à marcher sur la planète ?
Pas 6 milliards mais 6, 7 milliards
6, 7 milliards
Ça fait
13,4 milliards de pieds
13,4 milliards de pieds qui piétinent cette putain de vieille planète
Et pas un pour rattraper l’autre
Pas un pour compenser les conneries de l’autre
Ça fait 285 milliards de putain d’habitants depuis que l’homme existe
285 milliards…
17 milliards de tonnes de tissu humain
17 milliards de tonnes de cheveux, de peau, d’ongles, de salive, de dents, d’os, de poils, de larmes
17 milliards de tonnes
C’est pour ça tu vois
Qu’il y aura le trou dans le grand vide de mon ventre
C’est pour ça tu vois
Qu’à peine on s’est connu que déjà je te dis au revoir
C’est pour ça aussi
Qu’il n’y aura pas de lendemain
Parce que je ne peux pas
Parce que
C’est impossible
Et encore
Je ne crois pas en Dieu
Imaginez
Le nombre de morts convoqués pour le Jugement dernier
Une horreur
L’équivalent de trois milliards de terrain de football pour les faire tous tenir
Venir voir Dieu
Mais je ne crois pas en Dieu
Non
Je n’y crois pas
Parce que si vraiment il existait
On arriverait à ce demander comme il se démerde pour que ça vrille comme ça
C’est quoi pour vous la terre ?
La terre, oui, cette putain de sphère humide qui se détruit à vive allure
C’est quoi ça pour toi
C’est rien
Rien du tout
Mais je t’aime
On ne se connaît pas encore
Mais moi je te connais
Je sais déjà des choses sur toi
Ton histoire avant que tu commences
On ne se connaît pas
On ne se connaîtra pas
Jamais
Mais ça arrive souvent
Souvent on croise des gens
Des gens de la rue
Du travail
De la nuit
Des gens dont on sait qu’on pourrait être proches
On ne les connaît pas mais c’est comme si on les aimait
Comme si on était plein d’une tendresse aveugle
Sans pourquoi
Juste eux inconnus qui marchent dans la rue
Et que l’on prendrait
Dans nos bras
Eux inconnus de la rue
Avec qui on aurait pu vivre
Avec qui les bouts de temps qui traînent auraient pu être meilleurs
C’est ça
On aurait pu être avec eux
Mais ils disparaissent
Au bout de la rue
Sortent du métro
On ne se connaît pas
Mais on aurait pu
On aurait pu faire
Comme si
Ou presque
Mais non
On ne se connaîtra pas
Pareil pour toi
J’aurais aimé t’aimer
Mais c’est impossible
Alors c’est pour ça
Le grand trou vide
Dans le centre de mon corps
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C'est très beau, très affleurant. Ni trop près (pas de haine ni de nombrilisme), ni trop loin (de la sincérité). Comme le sujet, un thème universel pour les âmes sensibles : l'être au monde, la distance, le retrait (Rimbaud - de ce qu'on en sait - a fini par accéder au monde (est-ce un fantasme ? est-ce ce que je devrais te souhaiter ? comme le dit Michaux : lorsque le contemplatif se jette à l'eau, il essaie de comprendre l'eau, et se noie).
Voilà : on n'ose pas salir le mot Amour, on le trouve plus beau que sa réalité. Ce ratage est pour moi l'essence de la poésie.
Bon courage.
Stéph a dit…
21 septembre 2008 à 11:40