# Période nocticlienne


Il y a plusieurs façons de s’égarer ou voyager dans le cimetière du père Lachaise. Et chaque périple à son modèle. En se prêtant au jeu des portraits, on pourrait distinguer le déambulateur organisé du prédateur névrotique, et le prédateur névrotique de l’ignorant tranquille.

1er personnage, errance 1. La forme organisée nécessite, avant toute chose, la possession d’un guide, d’un dépliant détaillant au plus précis les différents points de célébrité incontournables. Le trajet se transforme alors en collection de lieux, de bons numéros et de ponts aux ânes… Il faut compter le nombre de cases, de rangées, de lignes et de tombes avant d’atteindre celle tant attendue. C’est mathématique comme une grille de Sudoku aussi poétique qu’un carré magique. On s’assoie alors sur Marcel Proust pour immortaliser les retrouvailles, s’alanguit sur Oscar Wilde, s’ébroue sur Arthur Rimbaud… L’espace se vide, se concentre autour de points de densité, de centres dorés et ébouriffants et certains ont des airs à venir faire leurs courses dans le supermarché des corps…

2nd personnage, errance 2. Le périple du prédateur névrotique est plus circonstanciel et ne se rencontre qu’à cette période fleurie des tâches jaunes et blanches, quand les proches réels, les intimes font silence sur les lieux de leurs morts. Alors qu’il erre dans les allées, sur les pavés gris comme le ciel sans reflet, notre spécimen scrute les attroupements, la moindre grappe de gens recueillis avec force marques de dévotion, fleurs, bougies, encens – signes qu’on ne s’assemble pas pour rien ! Avec un air circonspect et comme déjà concerné, le prédateur s’approche du groupe ainsi constitué et se glisse dans le rang. À pleines bouchées alors, il demande à son voisin de qui est-ce la tombe, pensant avoir à faire à l’un des grands labels recueillant une grande âme. Mais déjà la famille s’étonne de voir l’inconnu parmi eux, la gêne les traverse tous et leurs bouches, comme en cœur, renvoient notre bonhomme à d’autres tombes à reluquer.

3e personnage, errance 3. L’ignorant tranquille, enfin, ne voit rien du lieu. Rien qui ne pourrait faire l’objet de ces listes, ou qui viendrait nourrir quelques dodus paragraphes d’un guide touristique. Non, l’ignorant tranquille erre – tout simplement. Il prend même, inconsciemment, un soin presque coquet à éviter les majuscules et les grands noms. Frôlant de près telle tombe grandiose, s’écartant d’un fil des dépouilles de Mr un tel… Il promène son ingénuité dans les allées, s’attarde sur les promeneurs égarés comme lui. Il sort content de sa ballade, en se disant que demain, lui aussi, il s’achètera un guide.

2 commentaires:

Errance 4 - naviguer parmi les morts, sous la terre creusée, échanger les cercueil et les corps, pour voir (ce que ça changerait en surface ?)

8 novembre 2008 à 01:37  

Ausculter le réel et voir ce qui y bouge encore

Garder dans la même main, l'éclair et la révolte

Même si on désespère parfois des sédiments d'impossible accumulés dessus et qui surgissent dessous

12 novembre 2008 à 17:42  

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